Andrew Carnegie - David Nasaw

Cette impressionnante biographie (800 pages) par David Nasaw est un vrai bijoux. On connaît le succès du businessman qu’était Andrew Carnegie mais la biographie officielle avait mis de côté certaines facettes de ce personnage atypique pour son époque. Ce n’est pas tant sa vie personnelle qui m’a surpris dans ce livre (une vie somme toute assez classique : marié très tard avec une femme de 20 ans sa cadette, il aura une fille) mais la vision très moderne du monde qu’il a supporté dans le seconde moitié de sa vie à travers son œuvre philanthropique.

Ecossais, sa famille appauvrie par la crise du textile et sous l’impulsion de sa mère (qui aura une influence considérable pendant longtemps) émigre aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XIXème siècle et s’installe à Pittsburgh. Il y travaillera en tant que coursier pour une compagnie de télégraphe. Côtoyant les hommes d’affaires il se fait remarquer pour son intelligence et profite d’un prêt de son nouvel employeur (la Pennsylvania Railroad Company) pour investir dans l’industrie ferroviaire. Il réinvestit ses gains à chaque fois et, après la guerre civile, profite de l’effort de développement pour entrer dans le commerce du fer et ensuite de l’acier. Les liens qu’ils développent entre ses intérêts dans la construction ferroviaire et la sidérurgie auraient sans doute étaient jugés illégaux aujourd’hui. Il a tissé, avec ses partenaires (président de compagnies de trains) des participations croisées entre fournisseurs et clients dans des sociétés dont les actionnaires n’étaient pas toujours rendus publiques. Il n’était pas un spéculateur (il détestait le marche financier et son entreprise restera privée jusqu’à sa revente et son retrait de la vie des affaires) mais il profitait largement des nouvelles opportunités.

C’était un patron redoutable : il a cassé plusieurs grèves en expulsant les syndicats de ses usines afin de pouvoir supporter la compétition grandissante dans la sidérurgie et instaurer des conditions de travail dures (le passage de la journée de travail de 8h à12h notamment). L’épisode d’Homestead en 1892 où des miliciens engagés par la compagnie ont ouvert le feu sur les grévistes qui avaient organisé un blocus de la ville restera un épisode très sombre. Bien que déjà retiré et souvent en voyages dans son pays natal à cette époque l’équipe dirigeante l’avait tenu informé des décisions précises contrairement à ses déclarations sur les évènements.

Mais pour lui il n’y avait pas là de contradictions. Il ne pouvait accumulé autant d’argent pour financer des projets de plus long terme s’il devait perdre son business maintenant face à la concurrence … Finalement en 1901 il consens à vendre son entreprise à JP Morgan, un financier, qui formera avec d’autres entreprises U.S. Steel, une des plus grosses entreprises au monde. Cette vente porte sa fortune personnelle à environ 120 milliards de dollars d’aujourd’hui ce qui fait de lui l’homme le plus riche du monde (Rockfeller prendra cette place 10 ans plus tard).

Commence alors la difficile tâche de donner cet argent. Car Carnegie avait décidé très tôt de donner toute sa fortune. Son succès il ne l’expliquait pas par une quelconque mission religieuse comme Rockfeller (il était sans doute un athée sans le proclamer) ou le résultat de travail dur et laborieux (il ne travaillait que le matin). Non pour lui c’est le résultat de la communauté dans son ensemble qui a permis ce développement considérable dont Carnegie Steel était une parfaite illustration. Il était donc logique pour lui de retourner cet argent. Il n’arrivera pas à distribuer tout cet argent mais en voyant la liste des institutions, écoles, librairies financés par la fondation Carnegie on voit qu’il a fait son maximum de son vivant.

Quelques exemples illustrent bien le propos :

· Plus de 2500 librairies construites, comme pour les autres œuvres philanthropiques il n’interviendra très peu dans les choix définitifs, il a émis certains critères et ce fond sera administré par un conseil

· Deux grand instituts : Carnegie Institute of Technology (qui fait parti maintenant de l’université de Carnegie Mellon) et Carnegie Institution of Washington dédié à la recherche scientifique. Le premier est l’ancêtre des collègues techniques, il ne voulait pas financer de grandes écoles mais fixer son attention sur l’éducation courte et technique des enfants d’ouvriers.

· Un fond qui permettra de financer la scolarité de la moitié des étudiants écossais

Mais c’est son obsession pour la paix dans le monde qui va occuper le plus grand de son temps dans les dernières décennies. C’était un homme profondément optimiste et généreux (il donnera une pension à vie aux 300 employés de ses différentes maisons, ainsi qu’à beaucoup d’amis et connaissances) , avec beaucoup d’humour et relativement naïf des choses politiques. Il a entretenu des relations très étroites avec la plupart des présidents américains de cette époque (McKinley, Roosevelt et Taft) et certains ministres anglais. Comme le disait un de ses amis, là où il a réussi il faisait preuve d’une grande modestie  et là où il aurait dû être plus prudent il a été maladroit. Il faisait beaucoup de “name droping” dans ses correspondances privées à propos des entretiens avec les “grands de ce monde”. On sait maintenant que ceux-ci étaient exaspérés de recevoir des instructions de Carnegie sur la façon de mener les affaires étrangères ou parfois interne. Il ne pouvait se retenir de les flatter pour les amener à signer des traités de paix et à former une institution internationale de résolution des conflits. Cette obsession l’a sans doute aveuglé et un peu de pragmatisme aurait peut-être amené plus de résultats. Ou peut-être pas. Il faut sans doute des gens comme Andrew Carnegie qui croyait en l’émancipation des peuples, à l’influence positive que peuvent avoir les relations commerciales internationales, au progrès technique avec un regard très moderne même si ses contemporains le dénigraient. La guerre de 1914 sera un coup fatal à sa mission de pacificateur, il va se retirer dans le mutisme le plus total en 1915 et mourra en 1919.

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