Notes de lecture du livre City of Fortune par Roger Crowley

Les livres d’histoire sont, pour moi, comme des romans policiers, l’auteur jouant le rôle de l’enquêteur cherche à donner du sens, à trouver un mobile. Mais on connaît l’issue, et parfois c’est un peu frustrant car on aurait aimé une autre fin à l’histoire.

L’ouvrage de Roger Crowley est une chronique de la naissance et la disparition de l’empire commercial de Venise sur la Méditerranée entre 1000 et 1500.

On a dû mal à réconcilier l’image actuelle de la ville remplie de touristes et qui symbolise à travers ses gondoles et canaux le romantisme avec la république très opportuniste qui a bâti sa richesse en étant l’intermédiaire entre l’Orient et l’Occident.

L’ascension de Venise comme puissance maritime débute vers l’an 1000, lorsque le Doge Pietro Orseolo II remporte une victoire décisive contre les pirates slaves en mer Adriatique. Cette victoire est d’ailleurs commémorée par l’institution de la célèbre cérémonie du Sposalizio del Mare (mariage avec la mer), symbolisant la domination maritime vénitienne.

La République devient totalement indépendante à cette période , et développe une stratégie commerciale unique basée sur son rôle d’intermédiaire entre l’Orient et l’Occident. Son soutien à Constantinople s’avère crucial, lui permettant d’obtenir des privilèges commerciaux exceptionnels dans l’Empire byzantin. Cette position stratégique fait de Venise le principal intermédiaire du commerce des épices et des marchandises précieuses entre l’Asie et l’Europe.

L’empire vénitien se distingue par sa structure unique, privilégiant le contrôle des routes maritimes et des points stratégiques plutôt que la conquête territoriale traditionnelle. La République établit un réseau sophistiqué de comptoirs et de ports, chacun ayant un rôle précis dans l’organisation commerciale. La Crète devient notamment une possession cruciale.

Le pragmatisme commercial vénitien se manifeste notamment dans ses relations avec le monde musulman. Malgré les interdictions papales, Venise maintient des relations commerciales avec les Mamelouks d’Égypte, privilégiant les intérêts économiques aux considérations religieuses. Cette période voit aussi d’intenses rivalités entre les cités-États italiennes, particulièrement avec Gênes. La guerre de Chioggia représente l’apogée de cette confrontation, menaçant sérieusement la survie même de Venise.

Le déclin de l’empire maritime vénitien s’explique par la convergence de plusieurs facteurs : l’expansion de l’Empire ottoman sous Mehmed II et ses successeurs, les effets démographiques dévastateurs de la peste noire qui affecte particulièrement la disponibilité en marins expérimentés, et la découverte de nouvelles routes maritimes contournant l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance, qui bouleverse les routes commerciales traditionnelles. Cette dernière découverte est particulièrement fatale car elle prive Venise de son rôle d’intermédiaire privilégié pour les marchands européens.

Venise, la Sérénissime, était donc une république pas très religieuse mais très commerçante qui, malgré sa petite taille, a régné sur une large part d’une des plus importantes étendues d’eau de son époque. Une puissance presque « virtuelle » car elle ne repose ni sur une force industrielle ni agricole et même sa terre est mouvante.

Couverture
Couverture

Un passage m’a marqué à la fin sur l’histoire de cet aventurier/espion portugais (Covilha) qui a cartographié les échanges de l’Afrique de l’Est avec l’Inde pour ouvrir une nouvelle route entre l’Europe et l’Asie:

For two years Covilha criss-crossed the Indian Ocean disguised as an Arab merchant, passing between the ports of India and the coasts of Africa, learning about the pattern of the monsoon winds, the currents, harbours and spice bazaars, and recording his findings on a secret chart. By the time he returned to Cairo, Paiva was dead, in unknown circumstances. In 1490 Covilha handed over his chart and his report to Jewish agents who had come to Cairo to find him. The master spy never made it home. Addicted to travel, he went to Mecca as a Muslim pilgrim, then to the Christian kingdom of Ethiopia, from where the king of the country refused to let him depart. Thirty years later a Portuguese mission found him still alive, living like an Ethiopian. His information, however, did make it back to Lisbon. It resolved vital blanks in the Portuguese navigators’ maps.

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