Notes de lecture du livre Emergent Tokyo - Designing The Spontaneous City par Jorge Almazán
Le Japon attire beaucoup de touristes depuis quelques années, et ceux-ci passent majoritairement par la capitale du pays. Une des premières observations que beaucoup de ces visiteurs font a trait à la relative tranquillité de cette ville. Tokyo est une mégalopole de 35 millions d’habitants pour son aire urbaine, 14 millions pour la ville à proprement dite, mais il y a beaucoup de quartiers où on a un sentiment de « village ». On voit beaucoup de gens se déplacer en vélo, et même s’il y a de grandes autoroutes qui traversent la ville, les voitures n’ont pas une grande présence dans les quartiers résidentiels.
Le livre de Jorge Almazán (et Studio Lab) tente d’expliquer cette particularité de Tokyo et je trouve qu’il réussit très bien l’exercice. L’ouvrage de 200 pages aborde dans chacun de ses chapitres un artefact urbain propre à la capitale japonaise:
- les allées (« Yokochō ») : ces petites rues autour des stations de métro. Elles sont le fruit d’une migration des commerces illégaux de marché noir datant de l’après Seconde Guerre mondiale. On y trouve des petits restaurants de quelques sièges avec seulement une personne au service, le chef.
- les « Zakkyo » : ces fameux bâtiments étroits qu’on trouve au bord des rues achalandées avec des publicités et des néons. La particularité est de trouver des restaurants, bars et karaoké dans les étages supérieurs autant que des bureaux et commerces en tous genres
- « Undertrack infills » : beaucoup de lignes de métro ou d’autoroutes sont sur-élevées et cela favorise l’installation de commerces en dessous de celles-ci. Il y a des centres commerciaux plus modernes (et moins accueillants vus de l’extérieur) mais on y trouve des petits commerces utilisés par les « banlieusards ».
- Les rues « Ankyo » (« dark canal ») : ce sont des rues qui ont été créées par le recouvrement de nombreux canaux et petits cours d’eau. Ceux-ci sont devenus des égouts une fois les industries parties en banlieue. Parfois elles n’ont même pas de nom mais elles sont très bien entretenues par les riverains.
- Les quartiers très denses mais aux bâtiments bas (Dense Low Rise Neighborhoods) : des quartiers à forte densité (plus de 20 000 habitants au kilomètre carré) avec des bâtiments de 3 étages qui sont presque collés les uns aux autres. Le gouvernement a essayé de libérer un peu de place en mettant des contraintes lors de la destruction-construction de nouveaux édifices mais les propriétaires ont alors préféré faire de la rénovation, contournant ainsi la réglementation. Depuis le compromis trouvé est de devoir augmenter le nombre d’étages tout en donnant plus d’espace à la rue.
Pour chaque chapitre, l’auteur présente le concept puis illustre le propos avec 3 exemples avec photos à l’appui, puis une série de graphiques et dessins viennent compléter les explications.
Il y a des points communs dans ces arrangements urbains: l’urbanisation avec un fort accent sur les lignes de chemins de fer et métro, l’impact de la Seconde Guerre mondiale qui a ravagé la ville et l’effort de reconstruction. Celui-ci vient du gouvernement mais surtout des initiatives privées comme le marché noir, les petits commerces ou industries (ateliers) que les gens ont dû développer pour survivre. Ce tissu urbain est issu de ces forces formelles et informelles.
Ces 20 dernières années on a vu beaucoup de développements commerciaux avec de grandes tours abritant centres commerciaux, logements et bureaux. Mais ceux-ci sont moins accueillants. L’arrangement « POPS » (Private Owned Public Spaces) où les promoteurs immobiliers doivent incorporer une composante accessible au public dans leurs projets a été travesti dans la réalité. Ces aménagements sont souvent mal intégrés à l’espace public ou leur utilisation découragée par l’ajout de barrières ou de clôtures discrètes mais tout aussi efficaces à les rendre stériles.
L’auteur finit par une réflexion sur le caractère unique ou non de la ville japonaise. Ce chapitre aborde aussi du concept (que rejette l’auteur) de « nihonjinron » qui défend une essentialisme culturel japonais dans toute les sphères et l’urbanisme en fait partie.
Je conseille cet ouvrage à toute personne qui doit visiter le pays. C’est en fait un bon guide sur le tissu urbain et les exemples donnent de bonnes idées d’endroits à visiter pour vivre Tokyo.
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