Histoire populaire du Québec moderne - Jacques Lacoursière

Couverture du livre
Couverture du livre

Il était temps, qu’après 12 ans au Québec, je me penche sur son histoire. Je m’intéresse à l’actualité politique, et je vote lors des élections, mais parfois il me manque un peu de contexte. Certaines discussions avec des amis québécois deviennent vite obscures pour moi. Il faut dire que la place spéciale du Québec dans la fédération change le clivage traditionnel gauche-droite.

Le livre de Jacques Lacoursière a été parfait pour combler ce manque. C’est un classique, il comprend 4 tomes dont le premier couvre la période de 1896 à 1932. J’ai apprécié que l’ouvrage commence au 19ème siècle car, par exemple, l’histoire de la colonie française m’était déjà connue et me semble moins pertinente pour les débats actuels.

Je ne vais pas résumer dans ce billet les faits historiques, mes notes sur l’ouvrage me serviront bien pour cela. Je vais plutôt lister des tendances ou circonstances qui m’ont paru importantes.

Le pouvoir de l’église catholique dans les affaires publiques

À travers sa lecture j’ai été surpris par la place des autorités religieuses dans toutes les sphères de la vie.

Quand elles ne sont pas satisfaites du compromis de Wilfrid Laurier sur la question des écoles au Manitoba et que les journaux libéraux attaquent le clergé, celui-ci n’a qu’à appeler au boycott de l’un d’eux pour qu’il ferme.

Sur les questions de l’alcool et la prohibition, elles ont leur mot à dire. Elles s’opposent aussi au vote des femmes. Souvent les débats vont jusqu’à un arbitrage par Rome qui impacte la vie de la province.

On retrouve son influence dans les associations comme la fameuse ACJC (Association Catholique de la Jeunesse Canadienne-française), les syndicats ouvriers ou agricoles. Cela ne laisse pas beaucoup de place aux autres.

Traditionnellement les hôpitaux sont administrés par des paroisses et quand on veut mettre en place une assistance publique avec des fonds provinciaux ou fédéraux, les autorités religieuses réagissent fortement, y voyant une intrusion dans leur structures.

Enfin le clergé gère la plupart des commissions scolaires. Il est difficile de faire une place aux écoles juives (l’immigration juive au Québec est très importante au 19 et début 20ème siècle). Même quand le gouvernement essaie de formaliser leur existence, la résistance est rude.

Une anecdote m’a aussi fortement surpris: Rome va jusqu’à excommunier des paroissiens francophone à Providence aux USA qui s’opposent au clergé catholique irlandais local qui essaie de rendre obligatoire l’éducation en anglais.

La question de l’Empire anglais

Bien sûr, les relations avec l’Angleterre prennent beaucoup de place dans les débats politiques. À la lumière des différents conflits militaires menés par l’Empire britannique (en Afrique du Sud et pendant la Première Guerre mondiale) la question de l’indépendance du Canada occupe le devant de la scène.

L’Angleterre demande un engagement dans la marine proposant que le Canada finance la construction de navires de guerre. Laurier préfère former une marine nationale volontaire.

Le Québec se démarque par son manque d’enthousiasme voire son hostilité pour la conscription militaire durant la Grande Guerre. Henri Bourassa qui est passé de député fédéral à provincial (et directeur du Devoir) est celui qui symbolise le plus ce mouvement d’indépendance du Canada en s’opposant à une participation active au conflit européen.

Il n’y pas que dans le domaine militaire où le Canada se cherche une indépendance : les différends judiciaires et législatifs finissent devant le Conseil Privé à Londres.

Le développement économique du Québec

À partir du début de 20ème siècle la province profite de son potentiel hydro-électrique pour fonder un secteur industriel autour du papier et des mines. Mais beaucoup de capitaux viennent de l’extérieur. Il y a une sorte de sentiment d’infériorité sur le potentiel industriel de la province.

Le manque d’opportunités pousse un certain nombre de québécois à immigrer, notamment vers les États-Unis. Dans l’autre sens, au moment de l’expansion économique, Il y a peu d’immigration francophone: les français ne représentant par exemple que 15 000 personnes sur les 1.7 millions d’arrivées annuelles au Canada. La part du Québec dans la population totale passe de 30 à 25%.

Le syndicalisme commence à se développer avec l’aide des structures existantes chez nos voisins du sud comme l’American Fédération of Labour (AFL). Il y a de grandes grèves dans le monde du textile en 1907 mais peu de gains concrets.

Wilfrid Laurier et Henri Bourassa

Il y a bien sûr beaucoup d’autres personnages importants à l’époque, dont les premiers ministres du Québec comme Gouin ou Taschereau mais Laurier et Bourassa sont ceux que Lacoursière aborde le plus.

Le premier est Premier Ministre fédéral de 1896 à 1911. Il est connu pour avoir présidé au développement économique du pays. Il est aussi l’homme du compromis quant aux questions des liens avec le reste de l’Empire ou celles de la francophonie dans le reste du pays. Henri Bourassa est un adversaire politique farouche et il quittera la scène fédérale, et le parti libéral, suite aux multiples désaccords avec Laurier. Bourassa défend plus l’indépendance du Canada que celle du Québec dans la fédération. Il s’opposera dans les années 1920 aux positions de ACJC et de son journal l’Action française qui regroupe autour de l’abbé Lionel Groulx un mouvement indépendantiste.

Quelques extraits croustillants

Wilfrid Laurier à Henri Bourassa :

Mon cher Henri, la province de Québec n’a pas d’opinion, elle n’a que des sentiments.

Sur la victoire de Laurier en 1900 avec une part des sièges au Québec :

La plupart des journaux ontariens dénoncent le French Power. «C’est une situation intolérable pour les Canadiens anglophones, lit-on dans le News de Toronto, de vivre sous la domination des Français. « Il est infiniment déplorable que le gouvernement se maintienne au pouvoir par le vote massif d’une section du peuple canadien parlant une langue étrangère et entretenant un idéal étranger à la race dominante en ce pays. »

Henri Bourassa sur les relations du Québec avec la France :

Il existe entre les Français d’Europe et ceux du Canada des divergences politiques plus profondes encore que celles qui séparent la Grande-Bretagne et les États-Unis. […] L’amour que nous portons à notre patrie d’origine vient à la fois du cœur et de l’esprit. Il s’adresse plutôt à l’âme nationale de la France et aux productions de son génie qu’à la personne des Français eux-mêmes. Cette nuance se manifeste très nettement dans l’accueil un peu méfiant que nous faisons aux nouveaux venus de France, à ceux du midi surtout. Nous nous entendons très vite; mais le premier mouvement n’est pas celui d’une chaude sympathie, tel qu’on pourrait l’attendre de deux frères se retrouvant après une longue séparation.

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