Imperial Twilight - Stephen R. Platt

Couverture du livre
Couverture du livre

Il y a des livres dont j’aime tellement l’histoire qu’il m’arrive de ralentir la lecture de peur de finir trop tôt. Le livre de Stephen R. Plate fait partie de ceux-là.

Non pas qu’on y trouve beaucoup d’actions, la guerre de l’opium ne figure que dans le dernier tiers du livre, ou de suspens, car on connaît déjà l’issue, mais l’écrivain arrive à donner une vie saisissante aux faits historiques.

Il y parvient en utilisant des personnages clés et secondaires de l’époque. On parle ici de la fin du 18ème et début 19ème. Le théâtre est la Chine qui est alors complètement fermée aux étrangers.

Le seul point de contact avec l’extérieur se situe à Canton. La ville sert de port saisonnier pour l’échange de marchandises: thé vendu par les chinois contre du textile et autres marchandises anglaises ou américaines. La concession à Canton est toutefois limitée: les étrangers y sont admis quelques mois par an, sans leur épouse et ils ne peuvent pas sortir de leur camp. En 1759 un jeune britannique du nom de James Flint apprend le mandarin et essaie d’établir un contact avec les autorités de Pékin. Il est jeté en prison puis déporté en Angleterre. Son professeur de mandarin est décapité.

De nos jours (hors pandémie) on peut voyager dans presque n’importe quel pays sans trop de difficultés. On ne se sent pas aventurier. À cette époque, c’est une toute autre histoire. Ce sont des marchands qui cherchent de nouveaux marchés et dans cette démarche il y aussi des risques: maladies, voyage en bateau périlleux, etc.

Le livre illustre les grandes étapes des relations entre l’empire chinois et les puissances occidentales avec la trajectoire de plusieurs personnages. Il y a des missionnaires religieux qui essaient de rentrer dans l’intérieur des terres pour convertir le peuple chinois. Pour cela, il leur faut apprendre la langue, traduire des textes et les distribuer. Certains travaillent pour la compagnie en tant qu’interprètes. L’un d’eux, Thomas Manning, se fera même passer pour un disciple bouddhiste et entre par le Tibet avant de se faire repérer et déporter à son tour.

Il y a les différents marchands anglais, écossais et américains. On croise des noms connus comme la famille Forbes. D’autres le sont moins mais les compagnies existent encore de nos jours comme le conglomérat Jardine & Matheson.

Les échanges commerciaux sont le monopole de la compagnie britannique des Indes Orientales. Du côté chinois on a aussi des marchands (Hong) qui sont les seuls à pouvoir acheter les biens occidentaux. L’opium est semi-légale. La compagnie britannique se charge de sa culture en Inde mais sa distribution est faite par des trafiquants sur un marché parallèle. Les autorités chinoises ont une attitude ambivalente envers ce trafic. La drogue est un produit de luxe qui génère beaucoup d’argent. La corruption endémique dans l’administration chinoise se nourrit pas mal des flux financiers générés par la vente de l’opium.

L’opium exerce une grosse pression sur l’économie chinoise. Représentant presque 50% des marchandises échangées et payée en argent (le métal), cela engendre une déficit important pour l’empire. Ce dernier connaît une telle croissance démographique qu’on a dû mal à nourrir la population. Les nombreuses rébellions internes fragilisent le pouvoir central.

À part quelques marchands qui entretiennent de bonnes relations comme Forbes et Houqa qui fournira les fonds au futur milliardaire américain pour investir dans les chemins de fer aux USA, il n’y aucune relation officielle entre les deux pays. Les deux missions diplomatiques anglaises qui tentent de nouer des contacts se soldent par des échecs. A chaque fois des malentendus ou des fautes protocolaires (comment l’un doit s’agenouiller devant l’autre!) empêchent toute entente significative.

L’ouverture à la concurrence décidée unilatéralement par les anglais puis le resserrement par l’empereur de la consommation d’opium engendrent des tensions qui mènent au conflit. Les deux représentants locaux des nations impliquées auraient pu facilement éviter la guerre mais le manque de communication antérieure a empiré les choses.

Les guerres de 1839 puis 1856 forcent l’ouverture du marché chinois avec Shanghai qui prend la place de Canton comme principal port d’échanges.

On ne s’ennuie pas dans la lecture de ses 400 et quelques pages. On apprend à connaître ces aventuriers, certains plus sympathiques que d’autres. Même les personnages secondaires ont des trajectoires bien racontées. Au-delà des rapports de force entre les nations, on voit que des deux côtés les personnes impliquées ne sont pas si différentes les unes des autres. Il y a beaucoup d’interrogations, de curiosité voire de l’admiration mais peu de dialogues.

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