Michel Guyonnet-Duluc

1944-2021

Vacciné il y a quelques jours, il a été testé positif au COVID-19 ce dimanche, mais malheureusement son immunité n’a pas été assez forte.

Orphelin de la seconde guerre mondiale, il a été élevé « chez les sœurs » comme on dit, dans un établissement religieux de Tartas, dans les Landes. Placé ensuite dans une ferme à Carcarès-Sainte-Croix, il a passé le reste de son enfance avec d’autres orphelins. Mais il n’était pas là pour rester, c’était tout au plus une situation temporaire dont il gardait un bon souvenir. Nous retournions souvent à Carcarès pour y passer une partie de nos vacances d’été avec tatie Morlaes, la veuve du couple de fermiers landais qui l’avait recueilli. À 50 ans, approchant de leur retraite, ils avaient décidé d’officialiser cette relation en procédant à une adoption.

Il a quitté l’école à 14 ans pour devenir chasseur dans un hôtel. Son premier achat fut un appareil photo. Il a ensuite suivi une formation de peintre dans le bâtiment pour travailler avec un artisan du coin. Il a ensuite passé deux ans dans la Marine Nationale.

Il a rencontré notre mère à Bayonne lors d’un bal de pompiers, puis s’est engagé dans la Gendarmerie Nationale. On ne peux pas dire que c’était par vocation; il cherchait sans doute à nous assurer une certaine sécurité. Même si il n’avait pas d’éducation, il nous faisait lire le journal, dont Le Canard Enchaîné. Je me souviens qu’il m’emmenait aux débats politiques—dont celui sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie—et au dépouillement des votes lors des élections. Il votait toujours socialiste, sans faute.

Il avait ses défauts, il ne savait pas gérer son argent, nous plongeant parfois dans des situations précaires. Il ne fumait pas, ne buvait pas, mais il ne faisait pas attention à sa santé. Il a suivi le parcours classique du veuf qui développe un diabète, puis une insuffisance cardiaque. Jusqu’au jour où, arrivé de Montréal, je le trouve cloîtré chez lui, confus, sans médicaments ni nourriture depuis quelques jours. Étonnamment, les dernières années notre relation ont été plus sereines car je n’étais plus celui qui suivait son budget ou le rappelait à l’ordre sur les choses importantes. Le fait qu’il soit bien encadré médicalement aura tout de même permis de ralentir son déclin.

Depuis toujours, il me surnommait la petite pupuce, son petit dernier. Une petite pupuce aujourd’hui très triste de ne pas avoir pu le prendre dans ses bras une dernière fois. À cause de la crise sanitaire, nous avons dû fait nos adieux en vidéo. Voir mon papa si fragile, si seul à la fin—malgré la présence sur place de mon frère—m’a brisé le cœur.

La maison de retraite où il a fini sa vie est à 200 mètres de l’établissement religieux qui l’a accueilli lorsqu’il était enfant, en 1945.

Il avait cet instinct du survivant je crois, qui l’a aidé à dépasser les dures réalités d’une vie d’orphelin et son manque d’éducation. Lorsque nous avons emménagé ensemble avec Hervé, il est venu nous rendre visite. Il ne savait pas trop quoi nous offrir et il n’avait pas beaucoup d’argent, alors il nous a acheté un set de couverts de cuisine, puisque nous étions un couple, avait-il précisé.

Il a été un bon père.

Billet publié dans les rubriques Le Fourre-Tout le