Notes de lecture du livre Nègre je suis, nègre je resterai d'Aimé Césaire et Françoise Vergès
C’est peut-être l’été des hommes politiques français oubliés. Après Léon Blum, c’est le tour d’Aimé Césaire. Je le connais de nom, mais je serai en mal de citer une de ses oeuvres ou réalisations politiques.
J’ai la chance d’habiter tout près d’une bibliothèque municipale. J’ai saisi son nom dans le catalogue et j’ai pris le premier livre disponible. Il est assez court et se divise en deux parties. La première est consacrée à une série d’entretiens entre Françoise Vergès et Aimé Césaire réalisée en 2004, peu de temps avant sa mort en 2008 à l’âge de 94 ans. La deuxième est une réflexion de la part de l’historienne sur la place de l’homme politique martiniquais dans le courant du postcolonialisme.
Un des thèmes récurrents dans l’ouvrage est la dynamique qu’il y a entre le colonisé et le colonisateur, une dynamique qui dépasse la relation de dépendance de l’un vers l’autre. C’est un peu pareil avec la rupture que représente le monde postcolonial. La cassure n’est pas aussi nette que ça. Aimé Césaire a quitté la Martinique pour aller étudier en France au lycée Louis-Le-Grand puis à École normale supérieure. Il avait hâte de quitter son île natale car il souffrait de la petitesse de la bourgeoisie locale qui mimiquait les manières de la métropole. Il cherchait une liberté et la compagnie d’intellectuels pour élargir son horizon. La métropole était donc plus qu’une source d’oppressions.
Il reviendra au moment de la Seconde Guerre mondiale pour enseigner et devenir ensuite député. C’est à cette époque qu’il s’intéresse aussi à Haïti et au lien entre les Antilles et l’Afrique. En 1946 il est rapporteur de la loi qui confère le statut de département aux anciennes colonies des Antilles. On lui reprochera d’avoir choisi l’assimilation au détriment de l’autonomie pour ces territoires. Mais à l’époque, choisir l’autonomie aurait profité aux grands propriétaires terriens qui auraient renforcé leur emprise politique et économique sur l’île.
Il remets en cause l’universalisme français qui efface les imperfections de cette soit-disante civilisation universelle (la barbarie de l’esclavage) et les différences avec les autres peuples:
Chaque peuple européen a son histoire, et c’est l’histoire qui a construit la mentalité française telle qu’elle est. Regardez les Anglais, ils ont également une mentalité propre. Allez demander à un Dominicain, un habitant des Bahamas, de Trinidad: « Qu’est-ce que tu es?» «Je suis Trinidadien. Je suis Dominicain. » Demandez à un Antillais : « Qu’est-ce que tu es ? » « Je suis Français. » Les Antillais anglophones ne peuvent pas dire qu’ils sont anglais, “because nobody can be an Englishman”. Personne ne peut être anglais, sauf si vous êtes né « in England ». Chez l’Anglais, le racisme coexiste avec une conception de l’homme et le respect de la personnalité de l’autre, ce qui fait qu’il y a eu beaucoup moins d’assimilation dans les colonies anglophones que dans les colonies françaises. Les Français ont cru à l’universel et, pour eux, il n’y a qu’une seule civilisation : la leur. Nous y avons cru avec eux; mais, dans cette civilisation, on trouve aussi la sauvagerie, la barbarie. Ce clivage est commun à tout le XIXe siècle français. Les Allemands, les Anglais ont compris bien avant les Français que la civilisation, ça n’existe pas. Ce qui existe ce sont les civilisations. Il y a une civilisation européenne, une civilisation africaine, une civilisation asiatique (…)
On retrouve un peu le même mouvement au moment de la départementalisation qu’après l’abolition de l’esclavage en 1848. Les deux sont presque passées inaperçues. La première car la France était occupée à se rebâtir et dans l’autre, cela ne change pas vraiment la réalité sur le terrain. Les anciens maîtres d’esclaves sont indemnisés mais les colonisés, eux, ne voient pas leurs conditions économiques beaucoup évoluer. Cela sera pareil après 1946, l’application concrète de la loi ne permet pas une vraie égalité de conditions, celle-ci se fera graduellement pour prendre sa forme finale dans les années 1990.
Aimé Césaire a essayé de trouver un chemin qui est parfois difficile à tracer. Il a quitté le Parti communiste assez vite car celui-ci était tout aussi universaliste que les autres. Il rejette la question des réparations car elle offre une porte de sortie trop facile pour les pays occidentaux. Il met en garde aussi contre la prétendue innocence des pays pré-colonisés car ces sociétés étaient loin d’être égales.
Le livre est court mais dense. C’est une bonne introduction, non seulement à Aimé Césaire, mais aussi aux débats autour de la notion du postcolonialisme. L’auteur explique bien l’évolution de la question depuis les années 70 en France mais aussi aux USA. Cela m’a donné le goût d’en savoir plus.
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