Notes de lecture du livre Alger, capitale de la révolution d'Elaine Mokhtefi
J’ai lu ce livre en septembre 2019 et je dois dire que c’est mon livre favori pour cette année. J’ai lu deux bonnes biographies (je vais écrire sans doute un billet sur l’autre) mais j’ai eu un coup de coeur pour le livre d’Elaine Mokhtefi.
Issue d’une famille juive de la côte est, elle quitte les États-Unis en 1951 par bateau, passe par Rotterdam et arrive à Paris. Elle s’engage alors dans la cause algérienne en rencontrant dans la capitale française des travailleurs de ce qui est encore une colonie française.
Elle accompagne alors les activistes algériens à NYC dans leur combat diplomatique à l’ONU. De là elle visite Cuba, elle rencontre Frantz Fanon qu’elle accompagnera à sa mort en 1961. Elle se rend à Accra au Ghana au congrès mondial de la jeunesse qui accélère l’éclosion de ces mouvements de libération des peuples africains.
Quand l’Algérie devient indépendante en 1962, elle part y va vivre pendant 12 ans. Au début pour aider la culture algérienne à être connue en Afrique et ailleurs dans le monde. La capitale de la jeune nation est un peu comme le centre du mouvement de libération sur le continent. Beaucoup de regards dans le monde, surtout provenant de mouvements socialistes ou communistes, se tournent vers cette jeune nation.
Les Blacks Panthers s’enfuient des États-Unis et elle sera leur interprète, guide et ceci surtout pour Eldridge Cleaver, un des leaders du mouvement. Elle n’est pas un personnage important mais elle est au centre de cette histoire un peu exceptionnelle. La rencontre du groupe révolutionnaire américain avec leurs cousins idéologiques en Afrique mais aussi en Asie est intéressante. Tout ce monde se rencontre à Algers et Elaine Mokhtefi nous le refait revivre d’une façon simple mais saisissante.
Ce n’est donc pas une analyse objective, il y a sans doute beaucoup d’historiens qui se sont penchés sur cette époque mais bien un témoignage très personnel. Elle décrit toutefois les déceptions de la révolution algérienne qui se déroulent en parallèle du séjour des Blacks Panthers à Alger. Ces derniers ne sont pas vraiment intégrés. Alger devient plus une base pour leurs opérations ailleurs. La désorganisation dans les rangs des américains et le comportement parfois irascible de Cleaver (accusé du meurtre de l’amant de sa femme) provoquent de plus en plus de tensions avec les autorités algériennes.
Elle évoque des parcours de vie assez fascinants comme celui de Don Cox:
Don Cox est rentré aux États-Unis. Il a vécu clandestinement assez longtemps pour comprendre que le manque d’organisation et de ferveur révolutionnaire après l’effondrement du BPP ne laissait pas entrevoir de renaissance militante dans un avenir proche. Il est retourné en Algérie au début de 1974 et y a vécu pendant quatre ans, travaillant comme photographe industriel au sein de la Société nationale de sidérurgie. DC avait été ministre de la Défense du BPP; son pamphlet sur la préparation militaire et l’action directe est devenu un texte fondamental des Panthers et ailleurs, jusqu’en Afrique, des groupes révolutionnaires l’ont utilisé. DC était un homme magnifique: beau, vrai, généreux. Restés en contact, nous nous sommes soutenus mutuellement jusqu’a sa mort en 2011. Lorsqu’il est arrivé en France en 1977, je lui ai présenté Bernard Stasi, le maire d’Épernay, qui est intervenu auprès du ministre de l’Intérieur pour lui procurer un titre de séjour. Don Cox, fils de fermiers du Missouri, est retourné à l’agriculture dans le sud-ouest de la France où il a cultivé des plantes aromatiques pour l’industrie parquière. Il était mon meilleur ami parmi les Panthers. Il me manque terriblement.
Elle est, presque malgré elle, au coeur d’intrigues autour du président renversé Ben Bella et de son mariage secret avec Zohra Sellami dont elle est proche. Celui lui sera fatal, car elle est en porte-à-faux entre plusieurs factions du pouvoir algérien qui devient de plus en plus autoritaire.
Fidèle à la cause des noirs américains et celle de Cleaver (elle décrit bien son ambiguïté envers ce personnage qui ne sera pas très reconnaissant envers elle), elle sera expulsée du pays quand la situation devient intenable. Son mari, Mokhtar Mokhtefi, va la rejoindre quelques années plus tard. Ils passeront alors 20 ans en France à tenir une boutique de bijoux puis elle deviendra peintre et enfin écrivaine. Ils partiront pour les États-Unis car il y a trop de racisme pour eux en France dans les années 1990, une nouvelle (troisième, quatrième ?) vie commence pour eux à New York où Mokhtar décède en 2015.
Je finirai sur cette photo qui résume bien leur parcours. C’est une plaque qu’elle a apposée sur un banc près de chez eux dans le Upper West Side de New York en mémoire de son mari.
Photo issue d’une interview de l’auteur par Suzanne Ruta sur le site berfrois
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