Notes de lecture du livre Des électeurs ordinaires par Félicien Faury
Le titre complet de l’ouvrage du sociologue français est « Des électeurs ordinaires, enquête sur la normalisation de l’extrême droite ». Si cela fait maintenant 16 ans que j’ai quitté la France pour m’installer au Québec, le processus de normalisation du Front National (maintenant Rassemblement National, RN) était déjà bien entamé au moment de mon départ. Je me rappelle bien de l’élection présidentielle de 2002 où Jean-Marie Le Pen est arrivé au second tour. Ce fut un traumatisme collectif mais, en 2025, le discours n’est pas si mais quand Marine Le Pen sera élue.
L’auteur avance l’importance de ces entretiens individuels car ils révèlent le cheminement, le raisonnement derrière le vote RN. Ils permettent une analyse plus poussée que des interviews de type « micro-trottoirs » faites par la presse ou que les sondages qui listent et classent des préoccupations sans les lier. Il se concentre sur une région, Sud-PACA, qui est considérée comme le terreau du vote RN depuis sa création dans les années 1970.
La question du racisme est aussi centrale, car l’écrivain juge qu’elle est souvent mise de côté car jugée trop sensible. On l’évacue par peur de tout résumer à « ces cons de racistes ».
Les électeurs du RN du Sud de la France sont généralement mieux lotis que ceux du Nord, ils font partie de la classe moyenne inférieure. C’est une source de la réflexion qui mène au vote « RN »: ils se sentent en danger constant de déclassement. Ils ne sont pas pauvres et ne vivent donc pas au milieu de quartiers défavorisés où la population immigrante est majoritaire mais pas non plus assez riches pour s’extraire de leur périphérie. Ils sentent la population immigrante comme la source d’une menace pour leur milieu de vie.
Dans le même ordre d’idée, la redistribution économique opérée par l’État providence est une cible. Les personnes interrogées ne reçoivent pas forcément des aides étant relativement aisées mais ils perçoivent la difficulté de leur entourage ou leur propre exclusion de certaines aides comme étant le fruit d’une largesse étatique envers les immigrants. Il y a une part importante de gens qui exercent une profession libérale dans cet électorat qui se juge toujours trop taxée.
C’est ici que j’aurai aimé avoir une analyse qui prend du recul pour voir le lien entre les difficultés économiques qu’a connu la France au début des années 80. J’ai l’impression qu’elle a été un déclencheur silencieux de cette montée du RN (exacerbée par les échecs chroniques des partis politiques au pouvoir à adresser le problème du chômage). L’État se retirant de certaines mesures d’aide ou les limitant, les personnes touchées peuvent voir les immigrants comme la source plutôt qu’un phénomène concomitant de cette crise.
Le cercle vicieux est assez clair: on reproche aux immigrants de ne pas travailler, d’accepter des postes mais on ne reconnaît pas que cette image négative les empêche parfois de trouver du travail. Les interlocuteurs de l’universitaire sont clairs: ils ne font pas embaucher un « arabe », ils ne s’imaginèrent pas que, comme beaucoup de gens pensent comme eux dans leur région, cela ferme beaucoup de portes à ceux qu’ils reprochent d’être sans travail. Même chose si une municipalité essaie d’améliorer les transports en publics pour améliorer l’accès des travailleurs vers les zones d’emplois.
On ne peut toutefois pas tout résumer à des questions économiques. Le malaise exprimé est aussi sur ce qu’on considère comme son « mode de vie ». On fait la différence entre la bonne immigration (celle des italiens, espagnols, etc) et celle « non blanche » plus récente. Une anecdote est assez frappante: l’ancien propriétaire d’un bar vendu à un musulman parle de l’absence des femmes comme clientes. Il reconnaît toutefois un peu plus tard que c’était la même chose de son temps quand il tenait l’établissement.
Cet électorat valorise la réussite économique mais n’aime pas les profiteurs (ceci explique aussi le peu de succès de Zemmour qui est vu comme un arriviste politique). Il y a un certain cynisme exprimé aussi envers la politique qui n’est pas aveugle sur les malversations du RN, personne ne se fait d’illusions.
Le livre de Félicien Faury est une bonne introduction pour décortiquer le discours raciste et révéler des peurs, des croyances qu’on balaie trop souvent sous le couvert d’une éducation insuffisante (ce qui peut être aussi le cas mais pas que).
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