Notes de lecture du livre Free: Coming of Age at the End of History de Lea Ypi

Couverture
Couverture

J’avais 11 ans lors de la chute du mur de Berlin, je me rappelle des images mais surtout des années suivantes pendant lesquelles le bloc communiste s’est effondré. Bien sûr la Russie étant la pierre majeure de ce dernier, on a beaucoup écrit sur les années qui ont précédé la fin mais il y a une multitude de pays dans la sphère d’influence qui ont connu pas moins d’événements. L’un d’eux est l’Albanie. Lea Ypi raconte dans ce livre son enfance dans la région des Balkans qui coïncide avec cette période.

Il y a beaucoup d’humour sous forme d’autodérision, mais aussi de belles histoires, on s’attache vite à sa famille. Sa grand-mère paternelle qui parle plusieurs langues et la gronde en français, son père qui a un humour jovial, un peu moqueur et sa mère qui est celle qui a le plus d’ambition qui se réfugie dans la cuisine et fait du bruit avec la vaisselle ou d’autres accessoires quand quelque chose la tracasse.

“Did you pray for me to find a job?” my father joked when I told him that I’d added the mosque to the list of my civil society activities. “It won’t help,” I replied. “You need to change the font on your CV. You need to switch from Times New Roman to Garamond.” It worked.

Elle raconte l’avant et l’après, chacune de ses périodes a ses propres problèmes, je retiens cette phrase sur la guerre civile de 1997 et les années où les gangs de la mafia ont kidnappé le pouvoir.

the same collapse of the state, the same economic disaster. But with one difference. In 1990, we had nothing but hope. In 1997, we lost that too. The future looked bleak. And yet I had to act as if there was still a future, and I had to make decisions featuring myself in it.

Étant enfant, elle ne connaissait que cette liberté toute relative mais véritable pour elle sous le régime communiste. Les parents dont la famille était liée à l’ancien pouvoir parlaient en mots codés pour discuter des séjours en prison d’amis ou d’autres membres de la famille ( « ils sont allés à l’université »). Elle les dénonce malgré elle auprès de sa maîtresse d’école quand elle rapporte qu’ils n’ont pas encore de portrait d’Enver Hoxha, le dictateur mort en 1985, dans leur maison.

Cette innocence disparaît avec la chute du Parti communiste. Sa mère était déjà impliquée dans les mouvements civiques, son père devient député. Le pays s’ouvre (trop vite?) au monde extérieur. Les entreprises d’État sont restructurées, beaucoup de gens perdent leur emploi, des montages frauduleux à la Ponzi vont faire disparaître l’épargne de beaucoup de ménages. Certains essaient de fuir, parfois dans des circonstances tragiques, vers l’Italie. Le passage sur le fonctionnaire de la Banque Mondiale qui habite dans leur quartier est très ironique,il symbolise un peu ces réformes structurelles dite « inévitables » et la perspective de rejoindre la Communauté Européenne:

They were intrinsically bound up with what was now called, in candid tones of self-congratulation, “the process of integration into the European family.” There may have been times and places in the history of my country where politics made a difference, where being an activist rather than a bureaucrat meant that you could try to change the rules by intervening at the level at which laws were made rather than applied. This was not one of them. Structural reforms were as inevitable as the weather.

They were adopted everywhere in the same form, because the past had failed, and we had never learned how to shape the future. There was no politics left, only policy. And the purpose of policy was to prepare the state for the new era of freedom, and to make people feel as if they belonged to “the rest of Europe.” During those years, “the rest of Europe” was more than a campaign slogan. It stood for a specific way of life, one which was imitated more often than understood, and absorbed more often than justified.

Europe was like a long tunnel with an entrance illuminated by bright lights and flashing signs, and with a dark interior, invisible at first.

When the journey started, it didn’t occur to anyone to ask where the tunnel ended, whether the light would fail, and what there was on the other side. It didn’t occur to anyone to bring torches, or to draw maps, or to ask whether anyone ever makes it out of the tunnel, or if there is only one exit or several, and if everybody goes out the same way. Instead, we just marched on and hoped the tunnel would remain bright, assuming we worked hard enough, and waited long enough, just as we used to wait in Socialist queues-without minding the time that passed, without losing hope.

La première partie est plus légère bien que la vie sous le régime communiste ne soit pas de toute gaieté. La deuxième est plus triste, on parle des traumatismes de connaître la guerre en étant adolescente et des amis qui deviennent prostituées en Italie.

Toutefois la fin redonne espoir, l’auteur finira par partir pour l’Italie pour y étudier la philosophie et devenir professeur de théorie politique à Londres. Ce livre est un peu une explication de son parcours vers cette profession et ce domaine précis. Derrière l’ironie (et elle n’en manque pour ses camarades étrangers qui pratique le Marxisme comme des dilettantes) elle développe un vrai plaidoyer pour l’action politique pour protéger la liberté contre des tortionnaires internes mais aussi de ne pas se faire imposer un chemin vers celle-ci par des acteurs externes.

Billet publié dans les rubriques Lecture le