Notes de lecture du livre How Asia Works de Joe Studwell

La lecture de ce livre fait suite à une compilation de livres sur l’économie faite par Alexandre Delaigue sur Twitter.

Le propos du livre est de décrire le décollage économique de ces pays asiatiques tel qu’il s’est déroulé et non pas d’y coller de grandes théories sur l’importance de l’éducation, de la démocratie etc.


L’auteur mets donc de suite de côté des hypothèses courantes comme l’éducation et la démocratie. Il voit plus la première comme une conséquence du développement: les parents mettent les enfants à l’école quand ils en ont les moyens leur offrant ainsi une autre perspective que le travail à la campagne. Quant à la démocratie, c’est un peu pareil cela vient avec mais ce n’est pas un pré-requis comme le montre des pays qui ont de gouvernance comme la Chine.

L’auteur mets en avant plutôt une volonté de l’État de soutenir l’agriculture et pas une agriculture industrielle mais plus celle orientée vers la subsistance et l’export avec des programmes bien ciblés. Et aussi un soutien à la formation technique très pratique (“vocational schools”) et non pas des universités qui forment de chercheurs dans un pays qui m’en aura pas l’utilité à court terme.

Agriculture - le triomphe du jardinage

La première chose qui revient dans les pays qui ont vécu un transition économique réussie: une réforme de la propriété en donnant un lot de 1ha à des groupes de familles pour une culture très intensive et qui requiert beaucoup de main-d’œuvre mais qui nourrit très bien la population. C’est le cas au Japon par exemple. Et ceci contrairement aux larges fermes que les pays colonisateurs ont essayé de promouvoir dans d’autres pays sous la forme de plantation.

Cela requiert beaucoup de main-d’œuvres mais aussi une infrastructure de l’État pour fournir des engrais, des marchés où vendre sa production et de l’aide au marketing. Cela crée une forme de compétition entre de nombreux petits producteurs.

La production agricole augmente ce qui permet une épargne rurale qui finance investissements et une demande pour des biens de consommations (naissance de Nissan, Meiji à cette époque) et enfin l’exportation est une source de devises étrangères pour financer l’importation de machines.

C’est une des choses qu’ont manqué les pays d’Amérique Latine. Le développement s’est axé dans cette région autour de ce que l’auteur appelle un “urban bias” où l’agriculture ne fournit pas les besoins de base car on considère trop tôt la ville comme le moteur de la croissance et on se retrouve obligé d’importer de la nourriture.

De l’importance des réformes agraires (“Land reforms”)

Le développement de l’agriculture ne se fait pas tout seul. Il faut une grosse volonté politique. Celle-ci est au rendez-vous en Chine avant la guerre civile ou au Japon et en Corée du Sud après la Seconde Guerre mondiale.

Premièrement l’État doit redistribuer les terres aux paysans sous la forme de lots, les anciens propriétaires terriens recevant une indemnité sous forme d’obligations. Celles-ci avaient des taux réels très bas étant donnée l’inflation dans ces pays à cette époque, l’opposition à ces réformes était donc très forte.

Le deuxième levier provient des aides à l’infrastructure et aux équipements. Celui-ci est moins difficile à faire passer que la redistribution des terres, cette dernière étant une atteinte à la propriété pour les USA qui est un acteur majeur dans ces pays à cette époque. Occupant au Japon ou en Corée du Sud, les administrations américaines locales ont dû mal à s’adapter à cette réalité avant d’offrir un soutien plus pragmatique.

Les Philippines n’ont jamais passé ces réformes ou alors elles ont été détournées. L’État redistribue partiellement les terres mais n’actionne pas les autres leviers d’aides pour l’équipement et donc les paysans s’endettent pour cultiver leur terres. Bien sûr ces dettes sont contractées auprès des riches propriétaires terriens.

Cela peut paraître simple, et les pays ont adoptées ces réformes avec plus ou moins de succès, mais ces réformes doivent être maintenues dans le temps pour ne pas être détournées par de nouveaux rentiers et voir la productivité stagnait.

Développement industriel

Là aussi l’intervention de l’État pourra surprendre. Le mécanisme utilisé tourne autour du support des exportations par du crédit sans hésiter à fermer les entreprises peu performantes.

Le Japon est le premier à employer cette technique. Ils s’inspirent beaucoup de la politique de protectionnisme développée en Allemagne qui copie les technologies anglaises: formation de cartels tournés vers l’export.

On assiste à la même politique en Corée du Sud où le président Park est féru d’histoire et s’intéresse beaucoup à ce qui se passe en Europe et au Japon. Cela va passer par un soutien à l’exportation et la création d’un gros complexe industriel qui sera pendant longtemps pas très profitable comme la construction navale, l’acier ou l’automobile. Toute la subtilité est de pouvoir monter dans la chaîne de valeur. Les consultants japonais qui viennent monter des usines ne proposent au début de fournir que des kits d’assemblage de voitures sans ingénierie avancée. Il y aura beaucoup de marques de voitures qui se développent mais Park nécessite pas à forcer la fermeture de celles qui ne montrent pas d’avenir commercial.

Taiwan est un peu différent car l’île hérite comme en Chine d’un secteur public industriel déjà très développé et ceci du temps de la république avant la guerre civile. Taiwan aura donc moins de grosses industries tournées vers l’export et donc ne développera pas de marques « grand public » comme Samsung ou Hyundai.

L’auteur tourne alors son regard vers la Malaisie qui est un exemple de politique qui a connu un succès très relatif. Au départ l’agriculture ne bénéficie pas de réformes agraires, on ajoute à cela une trop grande présence de entreprise des anciennes colonies qui phagocytent les industries locales. Quand elle essaie d’imiter la Corée, il n’y a pas la même discipline vers l’export: ce sont des industries mono-compagnie avec peu de compétition. On voit des fortunes s’établirent dans la construction mais les profits engendrés ne vont pas vers des secteurs de l’exportation. On assiste alors à une financiarisation hâtive de l’économie.

Finance

Comme dans l’agriculture et l’industrie, on a besoin d’une intervention étatique forte pour que les banques jouent leur rôle dans le développement économique. La Thaïlande ou la Malaisie ont un système bancaire qui a financé des industries non compétitives ou centrées sur l’immobilier. Comme en Amérique Latine, elles étaient trop exposées aux mouvements extérieurs de capitaux suite à une dérégulation trop rapide d’où la crise financière de 1997.

Au Japon au début du XXème siècle il existe beaucoup de petites banques privées qui, comme aux USA, avaient le droit d’émettre de la monnaie. Suite à une crise, l’État a fusionné plusieurs de ces banques mais alors les 4 restantes sont capturées par des intérêts privées loin de ceux du développement.

Après la Seconde Guerre mondiale les banques ont été remises à flot et ont pu prêter grâce a la pratique du « re-discounting » : pratique où une banque se tourne vers la banque centrale pour revendre des prêts de ses clients et lever de ainsi de l’argent. Cela a fourni une source de financement formidable pour les exports, les entreprises japonais ont eu peu recours à la bourse. Cela a changé dans les années 80, la dérégulation financière a ouvert le marché des prêts à la consommation et immobiliers ce qui a fait gonflé la bulle.

En Corée cela a été plus mouvementé car il y a eu pas mal de crises monétaires avec de fortes variations ce qui a amené des périodes de forte inflation suivies de déflation. Après la crise de 1997, le système bancaire a été fortement modernisé et a stabilisé la politique monétaire.

Le cas de la Chine

L’agriculture a été un désastre sous Mao avec le collectivisme et n’est le pays n’est revenu vers « la culture du jardin » que dans les années 80. Celle-ci est maintenant sous tension suite à une urbanisation qui s’est accélérée et une industrie agricole plus tournée vers l’export.

Du côté des industries, celle du secteur des matières premières sont jalousement gardées par l’État qui décide des prix et cela permet de protéger le reste des industries des chocs de prix.

L’auteur y discerne 3 limites : - Il y a peu d’industries orientées « consommateurs » à part ZTE ou Huwai - Les marchés gagnés à l’étranger le sont plus via une pression politique donc l’avantage industriel est moins évident - Enfin l’absorption de technologies étrangères n’est pas si évidente voir le succès mitigé en dehors de la Chine des chemins de fer chinois alors que le pays a construit un nombre incroyable de kilomètres pour le marché intérieur.

Il note aussi que le pays n’est pas à l’origine d’évolutions organisationnelles dans le travail comme les processus « lean » (Kanban) venant du Japon.

Ce que je retiens du livre

Le titre peut paraître un peu prétentieux et réducteur mais c’est un vrai tour de force en un nombre limité de pages: une comparaison du développement économique en Asie qui couvre la Chine, le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, la Thaïlande, la Malaisie, les Philippines et l’Indonésie. Tous ne sont pas traités avec le même niveau de détails mais la synthèse est impressionnante.

Je ne sais pas si on peut répliquer tel quel le succès de ces pays dans d’autres régions. On pense justement à l’Afrique et dans une moindre mesure l’Amérique centrale ou latine.

Même si le rôle de l’État semble une condition primordiale, je reste frapper pour le côté « organique » de ces démarches. L’exemple de l’agriculture est frappant. Au lieu de monter des filières ex-ante pour satisfaire un hypothétique marché extérieur, commencer par une culture du jardinage et monter à partir de ça un secteur robuste qui servira à financer les autres étapes semble plus prometteur. C’est une façon de penser qu’on peut potentiellement appliquer à d’autres domaines.

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