Notes de lecture du livre Limonov d'Emmanuel Carrère
C’est mon premier livre d’Emmanuel Carrère. Je connais l’œuvre de sa mère, Hélène Carrère d’Encausse, historienne spécialiste de l’URSS mais j’avais juste croisé le nom du fils dans la presse. Il a atterri dans ma liste de lecture suite à son profil de 2017 dans le New York Times qui a refait surface récemment.
Lors de notre dernier voyage en France, pendant la pandémie, je me suis retrouvé à acheter un livre à l’aéroport. Ce n’est pas dans mon habitude car il n’y a pas beaucoup de choix mais quand j’ai vu Limonov, j’ai sauté sur l’occasion.
Le titre, et le sujet du livre est Édouard Limonov, un … difficile de qualifier le personnage avec un seul dénominatif tellement il a connu de vies différentes. L’auteur dont la famille est très liée à la Russie avait croisé Limonov durant son époque parisienne dans les années 80. Il le revoit dans les années 2000 en Russie lors d’une enquête pour une journal sur l’assassinat d’Anna Politkovskaïa.
Né en 1943 d’un mère aux origines modestes et d’un père sous-officier de l’armée russe mais qui n’a pas vu le combat durant la Seconde Guerre mondiale Edouard Limonov passe les premières années de la vie dans une ville qui fait partie aujourd’hui de l’Ukraine. C’est un fils unique avec des parents sans trop ambition. L’époque d’après-guerre est marquée par le souvenir des succès militaires russes. Adolescent, il est à la fois poète et petit truand. Il gagne un prix de poésie tant en fréquentant la mafia locale. Évitant la prison grâce à la position de son père, il connaît aussi le milieu bohème, on échange de mauvais écrits mais qui sont interdits donc on admire quand même leur auteurs. Il se mets en couple avec une artiste plus âgée que lui, Anna. On sent déjà son ambition, c’est un thème qui revient souvent, il méprise ces “losers” que sont les opposants mous au régime. Il veut réaliser quelque chose de plus grand même si politiquement le projet est flou.
Avec Anna, ils partent en couple pour Moscou. Il fréquente là-aussi les milieux de l’opposition mais il a toujours cette haine envers ces intellectuels. Ils sont une caricature: habits miteux, fument la pipe et picolent. Il se fait déjà remarqué par les autorités. Il quitte Anna pour Elena une mannequin avec qui il vit une folle histoire d’amour: il ira jusqu’à se couper au couteau devant sa porte. En plus de l’aventure, il y a beaucoup de sexe dans cette biographie.
On lui suggère fortement de quitter le pays et, comme beaucoup d’opposants à cette époque, ils partent pour New-York en 1974 avec un visa israélien devenant ainsi apatride. Ils vivent dans des endroits miteux mais fréquentent la bonne société grâce à des relations de la bourgeoisie russe “blanche” exilée après la révolution de 1917. Elena commence à s’éloigner de lui pour poursuivre sa carrière de mannequin. Quant à lui, il a peu de succès dans son métier de journaliste pour un journal russe local. Il n’arrive même pas à percer en écrivant une chronique polémique envers un dissident qui a du succès en occident en prenant indirectement la défense du régime russe.
Il descend petit à petit dans le caniveau, il se drogue, commets de petits crimes. Il a des rapports sexuels avec des itinerants noirs dans les parcs de la ville. Suite à une soirée chez un milliardaire où il drague sans le savoir l’assistante, il arrive à s’incruster et même à la remplacer comme majordome quand elle quitte son emploi. Il restera des années au service du maître. Son manuscrit racontant son épopée new-yorkaise, Le poète russe préfère les grands nègres,n’est pas retenu par l’éditeur américain mais une maison française le publie. Il part alors vers Paris avec Natalia Medvedeva, une musicienne de rock.
Sa période française est beaucoup plus fructueuse que celle aux USA. Il court les salons, il est connu pour boire beaucoup (mais n’est jamais bourré) et raconter de bonnes histoires. Il fréquente Jean-Edern Hallier et contribue à son journal, L’idiot international. Il écrit autant pour l’Humanité que des journaux nationalistes. Il commence sa carrière de rouge-burn ou nationaliste-bolchévique (nasbo).
La chute du mur de Berlin et la “glasnost” sont un pour lui un désastre. Il déteste Gorbatchev. Il considère ce mouvement comme une soumission aveugle à ces valeurs occidentales synonymes de dégénérescence et préfère une Russie forte.
Suite à l’éclatement du bloc soviétique, Il part dans les Balkans et joue au soldat. Sa réputation en France en souffre car au-delà des mots il est passé à l’action à côté des troupes serbes même si son niveau d’implication reste flou. Il retourne en Russie régulièrement durant cette période. Il fonde là-bas un parti nasbo. Ce dernier est petit mais avec des membres très actifs. La plupart sont des jeunes désœuvrés de la Russie ouverte mais ruinée par la thérapie économique de choc de Eltsine puis dépouillée par les oligarques.
Il connaît la prison après une arrestation près du Kazakhstan où il a créé un camp de retraite dans la petite république d’Altaï. C’est la parfaite excuse pour les autorités pour l’arrêter. Il passe 2 ans derrière les barreaux avant d’être libéré à la faveur d’un mouvement international en sa faveur. Il a une certaine notoriété, il en profite pour s’allier avec Kasparov, sans grand succès.
Le livre s’arrête en 2009-2010. Après l’invasion russe en Crimée il se rallie à Poutine pour défendre sa politique étrangère. Il meurt en mars 2020 des suites d’une opération chirurgicale.
Il a tout connu: la pauvreté russe et occidentale et leurs bas-fonds, la prison, la guerre, les dîners parisiens. Il est à l’image du post-modernisme issu de la seconde guerre mondiale. Celui qui ne digère pas la mondialisation et l’apparente convergence des valeurs autour du libéralisme.
Le livre et son sujet furent une agréable surprise. Le ton est accessible avec une forte dose d’humour. Un style bien goguenard mais sans être gratuit. Emmanuel Carrère a du recul sur son éducation issue de la bourgeoisie française des milieux intellectuels et montre de l’empathie pour cet homme si éloigné de celle-ci, cela en fait un très bon ouvrage.
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