Notes de lecture du livre Poor Economics: A Radical Rethinking of the Way to Fight Global Poverty d'Abhijit Banerjee et Esther Duflo
Cela fait maintenant quelques années que j’entends parler d’Esther Duflo, jeune économiste française qui travaille au MIT dans un laboratoire qu’elle a cofondée. Elle a tenu une chronique mensuelle dans Libération, participait au TED et en 2010 a reçu une prestigieuse récompense aux États-Unis, la médaille John Bates Clark. J’ai donc sauté sur l’occasion quand j’ai su qu’elle avait écrit un livrede vulgarisation.
Elle est spécialiste de ce qu’on appelle l’économie du développement. Ce domaine semble encore plus sujet aux grandes déclarations sur le comment résoudre les problèmes de pauvreté dans le monde. On retrouve un peu la séparation classique, l’auteur classant en 2 camps les protagonistes de ce champ d’étude: les supporteurs de la demande comme Jeffrey Sachs. Ceux-ci parlent du piège de la pauvreté qui interdit les populations de ces pays à sortir de cette zone et de l’aide indispensable des pays occidentaux pour y remédier. L’autre camp, celui de l’offre ou des sceptiques mets en avant les échecs de l’aide internationale ou ses rendements très médiocres voir négatifs. On retrouve dans ce camp William Easterly, ancien économiste de la banque mondiale. Ceux-ci préfèrent laisser les pays trouver la voie de leur propre développement.
Esther Duflo est une chercheuse pragmatique, ce qui peut sembler contradictoire dans un sens mais en termes de développement il est temps d’aller voir ce qui marche ou pas sur le terrain. Elle conduit donc avec son équipe des micro-expériences en milieu contrôlé. On va avoir des groupes témoins, on fait attention aux autres facteurs etc. pour évaluer l’effet de telle ou telle mesure (« randomised controlled trials » RCT).
La première question abordée dans le livre est celle de la nourriture car c’est celle qui constitue la plus visible surtout avec les grands programmes pour apporter de l’aide alimentaire. Dans le monde d’aujourd’hui on produit assez de nourriture et a un prix tel que tout le monde peut se nourrir à un prix adéquat (l’auteur cite le chiffre de 21 cents pour un apport de 2400 calories par jour aux Philippines ou la part de personne qui considère ne pas manger assez en Inde qui est descendu à 2%). Mais même s’il y a assez à manger, est-ce qu’ils mangent bien ? En fait on observe le même comportement que dans nos sociétés : un déplacement vers un régime qui coûte plus cher mais apporte moins de calories. Est-ce normal ? 10% de calories en plus apporte un gain de productivité de 4% (dans une ferme au Honduras). Le choix étant de doubler son apport en calories (donc de ses dépenses) pour avoir seulement une augmentation de 40% de son revenu. On ne doit pas être surpris que les pauvres choisissent de manger plus sucré.
Mais une des mesures qui rapporte beaucoup consiste à supprimer les parasites («deworming ») les enfants ou à donner des compléments alimentaires vitaminées ou du sel complété avec de l’iode et du fer. Un traitement antiparasitaire pour enfant qui dure 2 ans au lieu d’un et qui coûte 1.36 US$ pour apporter un sur-revenu sur la vie de plus de 3.000$. C’est un exemple pose la question de la santé dans les pays pauvres objet d’un chapitre.
Dans celui-ci on y trouve la notion de « nudge » qui popularise le « libertarian paternalism ». Comme dans nos sociétés il est souvent inefficace de forcer les gens d’entreprendre des actions (même quand elles sont dans leur intérêt). Mais il est primordial de rendre le plus accessible possible des mesures préventives. Car une maladie coûte cher, en l’absence de système de protection sociale, l’incapacité du père ou de la mère est très dangereux pour le bien-être de la famille.
Le chapitre sur l’éducation aborde les programmes comme PROGRESSA au Mexique ou plus généralement CCT (« Conditional Cash Transfer ») qui verse une allocation aux parents si leurs enfants sont scolarisés. Comme pour d’autres aspects on retrouve le débat sur l’école publique versus les initiatives privées. Ou encore le débat sur la contraception des jeunes filles, l’investissement scolaire des parents sur un des enfants afin de maximiser les chances d’avoir au moins un capable de les soutenir plus tard.
Le livre aborde bien d’autres aspects comme le micro-crédit, la corruption. J’en retire non un grand pessimisme ou optimisme mais au moins on arrive à mesurer l’efficacité et surtout à mieux comprendre l’économie des pauvres. Car même en vivant avec 1 $ par jour on fait des choix, on épargne, on se prémunit contre les aléas de la vie et on entreprend. Le danger ? Il est difficile d’en retirer une vision globale car c’est un ensemble d’études locales, d’anecdotes mais sans ça on retombe dans les généralités. Dans tous les cas je reviendrai souvent relire des passages de ce livre et je continue à suivre Esther Duflo avec intérêt.
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