Notes de lecture du livre The Assassins' Gate: America in Iraq de George Packer
Si on doit lire un livre sur la guerre en Irak c’est bien celui de George Packer : The Assassin’s Gate. Ce n’est ni un livre-reportage à l’envoyé spécial qui simplifiera obligatoirement le problème pour rentrer dans les quelques minutes autorisées ni la retranscription d’un débat d’ « experts » sur Radio France quelque chose. Comme souvent la réalité est plus simple et plus complexe.
L’auteur commence par dresser le tableau de l’avant-invasion : 1991 Georges Bush père ne va pas jusqu’à Bagdad et laisse les shiites irakiens aux mains des gardes républicains. Un homme va dès lors militer pour que les USA finissent le travail : Paul Wolfowitz, la figure emblématique des néo-conservateurs. On ignore souvent l’origine de ses hommes et femmes qui ont vécu le Vietnam non pas comme un excès d’arrogance mais au contraire comme une lâcheté. On trouve parmi ces « faucons » des anciens démocrates : ils ont une haine terrible pour la diplomatie mollassonne de Clinton et sont opposés à l’isolationnisme des républicains modérés qui prônent la stabilité (à la Rice), politique suivie depuis la guerre froide. La puissance américaine donne des moyens et des devoirs : celle de défendre la liberté (telle qu’ils la conçoivent) dans le monde, l’Amérique est un empire qui peut en changer le cours. C’est ici qu’on peut discerner le malaise des libéraux favorables à l’intervention en Bosnie ou au Soudan : Ils aimeraient aussi qu’on se débarrasse de Saddam Hussein mais s’associer avec les néoconservateurs …. C’est un peu dur.
On va faire connaissance aussi avec Kanan Makiya, irakien exilé depuis 30 ans aux USA. C’est un libéral qui ne rêve aussi de voir l’Irak débarrassé de son dictateur. Et le dilemme apparaît lorsqu’il participe à une conférence à Londres début 2003 : tous les participants sont opposés à la guerre, quand Kanan prend la parole et dresse le bilan des 30 ans de règne de Saddam on comprend bien qu’il ne peut pas moralement laisser passer cette occasion.
Mais autant l’objectif est clair (installer une démocratie en Irak), les moyens pour y arriver sont ridiculement faibles. La seconde partie du livre est consacrée aux différents acteurs sur le terrain : l’Irak après la chute de Saddam Hussein. Georges Packer nous amène d’abord avec l’autorité provisoire (CPA) qui est chargée d’administrer le pays dans l’attente d’élections. Au fil des rencontres avec le personnel on sent bien que les moyens ne sont pas suffisants : pas assez de militaire pour maintenir l’ordre, du personnel peu expérimenté dans l’administration d’un pays en ruine, pas de communication. Rumsfeld veut créer une armée high-tech avec peu d’hommes sur le terrain. Une armée adaptée pour la phase de combat classique mais quand les pillages puis la guérilla apparaissent les militaires sont dépassés.
On découvre aussi la vie quotidienne d’un lieutenant chargé de l’administration d ‘un quartier, d’un thésard en histoire chargé des relations avec les universitaires. Mais ce qui m’a le plus frappé ce sont les Irakiens. Bien qu’ils soient reconnaissants ils ne comprennent pas l’attitude américaine après l’invasion : les pillages et la lenteur des moyens pour remettre le courant par exemple vont alimenter les rumeurs les plus folles. Mais surtout : après 30 ans de dictature et aucune vie politique il y a une apathie, une résignation sur le destin de la nation. Nourrit de suspicions les uns envers les autres, il va falloir pardonner (Shiites aux sunnites, les kurdes aux arabes ..). C’est cette réalité qui est la plus intéressante, celle qu’ignore tout le monde ou presque, notamment les exilés irakiens : ils ne rêvaient que d’apporter la liberté mais sans se douter que le processus ne serait pas aussi évident pour les principaux intéressés. Quand on a passé autant de temps à ne penser qu’à sa survie, il en faut sans doute beaucoup pour passer à l’altruisme que requiert une vie en démocratie.
La troisième partie est consacrée aux autres régions de l’Irak (la partie kurde et la partie shiite), là aussi les témoignages sont très éclairants sur la situation politique et religieuse irakienne. Le compte-rendu des emails échangés avec le père d’un soldat mort au début du conflit (son véhicule était sous protégé) est poignant. Ce père, démocrate, n’arrive pas à trouver de réponses sur les questions soulevées par sa perte.
L’auteur ne fait pas de descente « coup de poing » sur les trottoirs du Sénat comme l’extrémiste Michael Moore sait si bien faire. Il ne parle des liens entre les familles Bush et les familles des dirigeants saoudiens, il ne dénonce par les contrats de l’ex-firme de Dick Cheney avec l’armée américaine. Non c’est plus subtil et en même temps plus juste. Peut-être ai-je aimé ce bouquin parce que je n’avais pas d’avis tranché sur la question de la guerre en 2003 : libérer l’Irak, oui mais l’admninistration Bush semble empreint d’idéologie et peu de pragmatisme, il fait peu de cas de la conciliation si chère au système politique américain et surtout il ne fait état d’aucune autocritique (cela se confirmera par la suite dans d’autres domaines). Maintenant après cette lecture je me sens plus à même d’apprécier les différents évènements qui sont loin de connaître une fin.
MAJ : Les troisièmes élections sont en cours et déjà la participation est un résultat positif.
Billet publié dans les rubriques Lecture le