Notes de lecture du livre The Big Shift de Darrell Bricker and John Ibbitson
Je l’avais déjà évoqué mais il est difficile pour un français de comprendre les tenants de la politique intérieure canadienne. Je ne parle pas que des différences de langues et de cultures mais tout simplement d’organisation. Autant en France on retrouve les mêmes partis (voir les mêmes personnes…) que cela soit au niveau municipal, régional et national. Le maire socialiste d’une ville répond aux mêmes instances et suit (plus ou moins) les lignes du parti national. Au Canada on ne connaît pas cette uniformité. Au niveau municipal on ne retrouve pas les mêmes partis qu’au niveau provincial et fédéral. Et même pour ces deux derniers il y a une différence entre le Parti Libéral au Québec et celui au niveau Fédéral. Le Québec est aussi différent puisque il y a un parti québécois qui transcende un peu le clivage gauche-droite. Enfin on peut avoir un gouvernement minoritaire (i.e. avec le plus de députés mais sans majorité absolue) comme celui du Premier Ministre Harper durant les années 2003-2004.
Le parti libéral a souvent été celui au pouvoir. Les auteurs s’attaquent à ce qu’ils appellent le consensus « Laurentien » qui représente l’élite intellectuelle, politique en Ontario et au Québec et qui représente l’audience traditionnelle du parti libéral. Ce consensus a mis en place beaucoup de choses dont les premières politiques d’immigration. Les auteurs pensent que ce consensus est arrivé en bout de course. Il a été dépassé par deux phénomènes : la montée des classes moyennes issues de l’immigration dans la banlieue de Toronto (le fameux district « 905 ») et le développement des provinces de l’ouest canadien. Le parti conservateur a su profiter des préoccupations de ces nouveaux groupes : économie, sécurité, rôle de l’État, déficit budgétaire chronique etc. La religion ne semble pas faire partie des questions soulevées, comme on le fait souvent remarquer Harper considère l’avortement comme un sujet tabou. Sur cette question je suis plus sceptique car même si au niveau fédéral rien ne change, il se peut que comme aux USA, au niveau local on assiste à une politique de restrictions médicales et administratives qui revient de facto à une remise en cause du droit à l’avortement.
Je ne peux me prononcer sur la question de la langue au Québec mais leur analyse est moins pointue. C’est un peu le défaut de ce livre : certains passages sont aussi péremptoires que les positions des gens qu’ils dénoncent. Leur argument est qu’étant donné que l’anglais est la langue universelle pourquoi s’embêter avec une langue secondaire… C’est un peu court car si s’il existe par exemple une (petite) industrie du cinéma au Québec, le reste du Canada c’est un peu l’Inde de l’industrie cinématographique américaine (studios de Vancouver) ou alors les réalisateurs partent carrément pour Hollywood.
Étant donné la situation économique mondiale avec une croissance molle, une sortie de crise pas très claire aux USA et l’Europe plus que jamais fragile, il est sûr qu’on va devoir trouver de nouvelles solutions. Quoiqu’en dise les auteurs sur la dynamique de l’Ouest versus Est au Canada, la croissance de ces dernières années c’est fait au détriment de l’endettement des ménages qui a une limite. Mais il est vrai comme ils le soulignent que le Québec et l’Ontario ont sans doute beaucoup à gagner de l’esprit des dernières décennies. Ils parlent d’une vision progressiste avec le succès du NDP et du parti libéral versus une alliance plus conservatrice à l’Ouest. Il faut « juste » que les progressistes se donnent les moyens de réussir.
C’est un très bon livre pour comprendre la dynamique de la politique intérieure des dernières années. Bien que certains passages sur l’économie soit un peu légers , il contient de très bonnes analyses pour appréhender le Canada de demain.
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