Notes de lecture du livre The King Never Smiles de Paul M. Handley

Je reviens d’un voyage en Thaïlande (vous pouvez consulter mon carnet de voyage et mon récap de la randonnée).

Avant mon séjour j’ai lu ces quelques romans:

Sur place je me suis attaqué, sur mon Kindle (le livre est interdit en Thaïlande), à la biographie par Paul Handley de l’ancien roi Bhumibol Adulyadej qui a régné de 1946 jusqu’à sa mort en 2016 (70 ans!). C’est une très bonne façon de se familiariser avec l’histoire moderne du pays.

Couverture du livre
Couverture du livre

L’ouvrage peut paraître un peu répétitif mais c’est parce que le pays a connu 20 constitutions depuis 1932 et, pour beaucoup de ces changements, ce sont les mêmes acteurs qui se confrontent. Les militaires qui s’allient avec les supporteurs du roi d’un côté et les politiciens ou homme d’affaires comme les conservateurs mais le plus souvent les socialistes ou démocrates de l’autre.

Ces coups sont comme des révoltes de palais, cela se fait sans violences (sauf en deux occasions en 1976 et 1992) et le peuple n’a pas grand chose à dire. Avant la Seconde guerre mondiale, en 1932, le royaume de Siam comme il était connu avant a vécu sa première révolution qui installe une monarchie constitutionnelle. Celle-ci retire la plupart des pouvoirs exécutifs au monarque. Mais le conflit de 1939-45 va changer la donne.

La Thaïlande est un cas un peu particulier en Asie, c’est un pays qui n’a pas été colonisé et, bien que brièvement envahi puis alliée au Japon, elle n’a pas souffert du conflit ni des sanctions d’après-guerre.

Bhumibol Adulyadej n’était pas vraiment destiné à devenir roi. Son oncle abdique en 1935 suivant le coup d’État de 1932 et sa tentative, échouée, de reprendre certains pouvoirs. Le père de Bhumibol Adulyadej étant mort en 1929 c’est son frère aîné qui lui succède. Mais ce dernier meurt en 1946 d’un accident ou meurtre (on ne sait pas vraiment, on l’a retrouvé avec une arme dans sa chambre et une blessure par balle à la tête).

Il connaît peu son pays quand il accède au trône. Il est né aux USA où ses parents se sont installés puis sa mère s’exile en Suisse où il réside, même durant la régence, jusqu’à qu’il soit couronné en 1950. Mais il se rattrape vite, c’est un monarque qui ne restera pas en retrait comme la reine d’Angleterre ou pire l’empereur du Japon.

Il est aidé pour cela par plusieurs forces, intérieures mais aussi extérieures. En interne, les royalistes veulent reprendre le dessus. Il faut dire que c’est un groupe très nombreux, certains rois ont eu jusqu’à 32 enfants d’épouses différentes. Ces princes dont les plus importants font partie du conseil privé reprennent le contrôle des terres royales et en tirent un revenu substantiel. Par exemple, même de nos jours, la monarchie loue des terrains à Bangkok à des hôtels, complexes commerciaux ou résidentiels pour une durée fixe (30 à 90 ans). La couronne est aussi actionnaire majoritaire dans des banques, des industries de la construction, etc. La fortune du roi actuel, le fils de Bhumibol Adulyadej, est estimée entre 30 et 60 milliards de dollars et font de lui le monarque le plus riche au monde.

Les forces externes sont bien sûr les États-Unis. La méfiance naturelle du roi et de son entourage envers les socialistes va rencontrer la pression américaine pour contrer les mouvements communistes dans la région. La Thaïlande est entourée par des pays qui basculent dans le camp de l’adversaire et devient un domino qui ne doit pas tomber. Le pays reçoit alors une aide financière massive pour son armée mais aussi pour développer des infrastructures notamment dans le nord du pays. Mais celles-ci ne profiteront pas vraiment au peuple et sont détournées par des militaires qui deviennent la troisième forces politique et économique du pays. Tour à tour des généraux vont diriger le pays avec l’accord tacite du roi qui regarde ailleurs quand les exactions de ceux-ci sur son peuple font surface.

Bhumibol Adulyadej se présente comme le défenseur de l’intérêt national face aux méfaits des courants séculaires que sont les hommes d’affaires capitalistes, les politiciens véreux et les militaires. Il est ainsi le garant du triptyque « Religion, Monarchie et Nation ». La religion joue un rôle important, il suit les préceptes du bouddhisme. L’ordre religieux est un instrument de pouvoir par lequel il influence les discussions autour de l’avenir du pays, par exemple en mettant en avant l’esprit d’auto-suffisance et le fait de produire juste ce qu’il faut pour vivre sans chercher l’opulence.

Au début de son règne il peut paraître distant voir même un peu dilettante (il joue au jazz et organise des régates) mais petit à petit il se voit comme un moteur essentiel du développement de son pays. Via les oeuvres de charité et autres organisations royales, il essaie d’influencer l’économie et de sortir les paysans d’une pauvreté qui profite selon lui aux mouvements communistes (ce qui n’est pas vraiment le cas, les rebelles du nord de la Thaïlande n’étant peu soutenus par les forces externes). Il a une conception très « introvertie » de l’économie. Il veut que chaque famille puisse produire grâce à son lopin de terre ce qu’il faut pour subsister, pas plus. Il met la pression pour la réalisation de grands travaux comme des barrages, même contre l’avis d’experts.

C’est sans doute ce qui a fait son succès auprès du peuple qui le voit comme quelqu’un au-dessus des groupes d’intérêt qui luttent entre eux pour diriger le pays. Cela se traduit par son influence sur les groupes contestataires comme les étudiants en 1976 qu’il va jusqu’à réprimander comme des enfants mal élevés pour avoir osé utiliser des moyeux violents pour demander le changement.

Il refuse de suivre l’exemple des autres pays occidentaux dans la libéralisation de l’économie ou la réforme de son système politique. Il est farouchement convaincu que son pays avec sa religion a déjà tout ce qu’il faut pour s’épanouir. Par exemple, il ne voit pas l’intérêt d’avoir une constitution. Pendant longtemps le pays restera dans une impasse politique où aucune élection n’est organisée. Pour lui une constitution risque d’être un document trop rigide pour pouvoir s’adapter à la réalité d’un pays qui doit progresser à des vitesses et avec des moyens différents des autres. Il va finalement s’ouvrir à l’idée de réformes mais la crise des devises de 1997 qui plonge le pays dans une dépression économique majeure lui donne raison. Le système capitaliste n’est pas fait pour la société thaïlandaise.

At-il raison ? D’un côté le pays a une économie en avance par rapport à ses voisins et des pays comparables.

Données du PIB pour la Thaïlande et certains pays comparables
Données du PIB pour la Thaïlande et certains pays comparables

Mais d’un autre, le pays semble tomber dans ce qu’on appelle en anglais le « middle income trap ». Après un rattrapage qui permet de soutenir une croissance soutenue via la migration de la main-d’œuvre pas chère de secteurs comme l’agriculture vers l’industrie, des investissements dans des secteurs essentiels comme les infrastructures et la production de biens relativement simples, l’économie s’essouffle car les relais de croissance ne sont pas là. Pour ça il faut investir dans l’éducation, se tourner vers l’extérieur pour aller chercher des exportations à valeur ajoutée, etc.

Finalement le roi a sans doute trop protégé son pays. Que cela soit cynique ou bien fondé, ce côté paternaliste a eu des effets pervers non seulement pour les réformes politiques mais aussi pour l’avenir économique du pays. Diplomatiquement aussi le pays est relativement isolé, tourné vers lui-même. Le fils ne semble pas vraiment être à la hauteur du père, est-ce que cette faiblesse sera l’occasion pour une ouverture plus grande à des changements ?

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