Notes de lecture du livre The Lion and the Nightingale: a journey through modern Turkey de Kaya Genç
Je garde un très bon souvenir de mon voyage à Istanbul. Je suis resté une semaine dans la plus grande ville turque et elle m’a charmé. Je ne m’étais pas trop intéressé à la culture turque si ce n’est que par les cours d’histoire qui abordent surtout les empires Byzantin et Ottoman. J’ignorais beaucoup de son histoire moderne notamment de la république fondée au début du XXème siècle.
J’ai découvert l’auteur via le site rest of the world qui couvre l’actualité technologique en dehors du monde occidental. Mon autre contact avec la littérature turque était avec “Noontime in Yenisehir” de Sevgi Soysal.
Le livre de Kaya Genç est un journal de l’année 2017 qui se situe juste après la tentative de coup d’état militaire de juillet 2016 pour renverser le président Recep Erdoğan. Chaque chapitre couvre une saison et dans chacun Kaya Genç dresse le portrait de gens ordinaires ou d’acteurs plus importants de la société. Ces portraits sont entremêlés avec des expériences personnelles de l’auteur et une description de la situation politique du moment.
Je ne ferai pas un résumé de chacune des parties mais voici ce que j’en ai retenu sur la Turquie de nos jours.
Erdoğan est arrivé au pouvoir après des décennies de monopole politique des mouvements kémalistes du nom du fondateur de la république Turque, Mustafa Kemal Atatürk. Comme on le voit dans d’autres pays cette marche forcée vers la modernité se fait via un pouvoir autoritaire.Les réformes ont apporté beaucoup de libertés en limitant l’influence de la religion dans toutes les sphères mais au fil du temps le manque de pluralisme politique a pourri le fruit.
Quand le parti AKP (les « lions » du titre du livre) est arrivé au pouvoir une partie des militants progressistes (les « rossignols ») ont initialement accueilli cette ascension avec optimisme. Oui ce sont des conservateurs mais le pouvoir en place à l’époque était devenu sourd aux revendications des minorités, la censure et la prison n’étaient jamais loin. Les militaires intervenaient beaucoup dans la vie publique. Un des portraits est celui de Ravza Kavakçı Kan, députée du parti AKP qui a étudié aux USA. Là-bas elle a connu plus de libertés en tant qu‘étudiante de confession musulmane que dans son pays natal.
Il y aussi cette anecdote qui le met à l’aise: ces amis avec une éducation laïque et libérale qui se moquent du chauffeur de taxi dans lesquels ils sont. Il se parlent entre eux en anglais pour ridiculiser le chauffeur qui est d’une classe inférieure.
Quelque soit leur bord politique, la question des minorités Kurde unit la classe dirigeante. La description de la vie de Binevs, une femme de ménage Kurde, avec ses 7 enfants est déchirant. La police faisait la sourde oreille quand elle se plaignait des violences de son mari. Ses employeurs sont une famille bourgeoise qui ignore tout de ses épreuves et ne pose pas trop de questions.
Au final c’est une élite turque qui a remplacé une autre. Comme le fait remarquer le journaliste les bourgeois républicaines envoient leurs enfants aux lycées américains, français ou allemands d’Istanbul et se retrouvent à capturer les postes importants de la société. Mais ce n’est pas mieux du côté conservateurs qui eux font partir leur progénitures aux USA ou au Royaume-Uni pour revenir avec les bons diplômes. La division n’est pas tant politique qu’économique et culturelle.
L’auteur voyage occasionnellement en-dehors de la Turquie pour parler de son pays. Et plusieurs fois il s’est posé la question de partir vivre ailleurs. D’autres l’ont fait que ça soit à l’époque des répressions perpétrées par les militaires ou aujourd’hui avec un président qui voient des ennemis partout. On voit que son amour de son pays qui transparaît dans les profiles est trop fort.
C’est un court ouvrage, 200 pages, mais il m’a beaucoup appris et plu. Le style est peut-être parfois maladroit mais cela n’enlève rien au fond. La multitude des histoires couvre l’ensemble de la société turque: un coiffeur et une femme de ménage Kurde à Istanbul, un poète Kurde à Diyarbakır (capitale Kurde), une députée de l’AKP, un journaliste du bord de la mer Noire d’où vient la famille d’Erdoğan, une chorégraphe qui s’est retirée à la campagne, une actrice, un enseignant qui vit à Izmir, le bastion libéral, une productrice de cinéma, un cinéaste qui est maintenant reclu dans une région autrefois foyer des arméniens.
Ce qui m’avait surpris lors de mon voyage à Istanbul c’est le peu d’influence moderne étrangère ou alors elle n’est pas visible. Par la population, il fait parti des grands pays dans le monde, on sent surtout que ce fut un empire. Il est peu cosmopolite de nos jours mais les traces des autres cultures sont encore présentes. Le livre de Kaya Genç m’a permis d’aller au-delà de cette façade.
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