René Lévesque, un Homme et Son Rêve - Pierre Godin

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L’été dernier, lors de la journée “le 12 août, j’achète un livre québeçois”, j’ai acquis une biographie de René Lévesque écrite par Pierre Godin.

Bien sûr je connais de nom le personnage, et pas seulement à cause de l’artère qui porte son nom. Mais sa véritable place dans l’histoire de la province ne m’était pas vraiment familière.

Le caractère René Levesque

Issu d’une famille relativement aisée, il a une éducation classique d’abord en Gaspésie puis à Québec dans un séminaire. C’est son père, qu’il perds jeune, qui lui fait découvrir la culture francophone, surtout par la lecture. Il restera toutefois un nord-américain dans l’âme. C’est ici que la distinction n’est pas évidente pour un français comme moi. C’est un francophile mais il a plus d’atomes crochus avec les américains qu’avec les français. Son premier contact avec les français durant la seconde guerre mondiale n’est pas bon puis il y aura aussi des frictions lors de ses reportages sur l’Algérie coloniale. Cela sera moins vrai plus tard durant sa carrière politique où il tisse des liens serrés avec ses homologues français mais, par exemple, il ne saute pas de joie lors de l’allocution du général De Gaulle et son “Vive le Québec Libre!”.

C’est un baroudeur, il ne finit pas ses études et entame une carrière de journaliste qui l’emmène en Europe dans l’armée américaine qu’il suit en France, Allemagne et Italie lors de reprise du continent par les alliés. Cette expérience, dont le passage au camp de Dachau juste libéré, le marquera à vie.

Fait moins connu du grand public, surtout de son vivant, c’est aussi un coureur de jupons. Les journalistes de l’époque restent discrets sur sa vie privée mais c’est un grand séducteur, il aura même une fille née d’une union hors mariage.

La Célébrité avec Radio Canada (malgré eux)

Il a eu un grand succès en tant reporter radio puis présentateur à la télé et ceci malgré sa voix trop rocailleuse pour les annonceurs. Il fume beaucoup et ne finit pas toujours ses phrases mais son style plaît aux auditeurs.

Il y a par exemple son reportage en Russie lors de la visite de Pearson qui se fait tenailler par Khrouchtnev qui pousse le ministre des affaires étrangères canadiens dans ses retranchements lorsque le journaliste commence à enregistrer. La conversation est censurée par les autorités canadiennes. Son enquête sur les régiments canadiens lors de la guerre de Corée est très suivie.

Plus tard, à la télévision, il marque les esprits avec son côté pédagogique lors d’une émission sur l’actualité où il manie la craie et le tableau. Mais la direction est toujours frileuse à lui accorder plus de place, il doit même passer par un contrat en tant qu’indépendant pour recevoir une augmentation de salaire.

L’Entrée en Politique

Il rentre en politique par la petite porte. Ce n’est pas un homme qui se laisse porter par des mouvements populaires. Lors de la seconde guerre mondiale, comme beaucoup de ses compatriotes québécois, il n’est pas volontaire et il attendra qu’on le force à s’engager après des essais infructueux pour se faire exempter.

Quand un conflit éclate entre les réalisateurs et Radio-Canada, le journaliste vedette reste à l’écart. Mais aux vues des actions de la direction, majoritairement anglophone qui va jusqu’à envoyer des négociateurs qui ne parlent même pas français(!), il prend les devants et devient un acteur majeur du mouvement qui s’élargit.

Après la fin du conflit, il ne peut pas vraiment retourner comme animateur, il rejoint alors le parti Libéral qui combat celui de l’Union Nationale de Duplessis, premier ministre au régime bien corrompu et vieillissant. Il est élu député et obtient le poste de ministre des ressources, forêts et travaux publics.

C’est ici qu’il va gagner ses galons de politicien mais aussi de gestionnaire. Il va nationaliser entièrement le secteur de l’énergie en rachetant les sociétés privées d’électricité pour les fusionner avec Hydro-Québec. C’est aussi son premier désaccord avec Pierre Trudeau qui privilégiait un endettement destiné à l’éducation. Tous les deux ont eu le même constat sur le retard économique de la province mais n’avaient pas les mêmes solutions.

Cette nationalisation fera l’objet d’une élection au thème “Maîtres Chez Nous”. En effet les entreprises de ressources naturelles sont souvent détenues par des intérêts étrangers. Les profits ne restent pas au Québec et la plupart des cadres supérieurs sont anglophones ou même étrangers (ce préjugé atteint même le gouvernement où le poste de ministre du Trésor est réservé traditionnellement à un anglophone). Il sait se faire entourer de bons conseillers pour mener à bien ce projet titanesque.

La nationalisation est un succès électoral (et plus tard économique). René Lévesque en profite pour mettre en place un système d’achats préférentiels pour les compagnies québécoise afin de favoriser l’industrialisation de la province souvent cantonnée aux matières premières. Il réussit d’autant plus qu’il fera le ménage dans les magouilles de l’Union Nationale.

Au Pouvoir

Les libéraux perdent le pouvoir en 1966 mais il conserve son poste de député. Cela fait un moment qu’il se rapproche non pas d’un nationalisme québécois mais de la souveraineté. Il défend dans un premier ouvrage, Option Québec, qu’il présente à Robert Bourassa (qui ne le suivra pas) sa conception de ce qu’il appelle la séparation- association, c’est-à-dire une indépendance mais avec un fort lien économique avec le Canada. Sa motion est rejetée au congrès libéral, il quitte alors le parti et crée un nouveau mouvement qui deviendra en 1968, le Parti Québécois et prendra le pouvoir en 1976. Il y aura quand même une traversée du désert car il n’arrive pas à se faire élire lors des élections entre 1968 et 1976. Il vivra de peu, sa pension de député est versée à sa première femme, étant en ménage maintenant avec Corinne Côté.

Comme lorsqu’il était ministre, il sait s’entourer, son gouvernement est solide et réalise de bonnes réformes notamment la loi sur l’assurance automobile, celle sur le financement des partis politiques mais surtout la loi 101 qui essaie de réparer l’injustice du poids de l’anglais dans la sphère économique.

Le référendum de 1980 est un échec, le « oui » n’obtient que 41%. La question était trop complexe. Certains radicaux était contre même l’idée de tenir un référendum, mais pour une décision aussi importante, le premier ministre pense que la voie législative n’est pas assez, d’autant plus que la reconnaissance internationale aurait été plus hasardeuse. René Lévesque choisit toutefois une voie un peu trop compliquée avec un processus en deux étapes : un premier référendum donnant mandat au gouvernement pour négocier la souveraineté puis un deuxième qui devra valider le résultat d’un éventuel accord avec le reste du Canada.

Mais son plus gros échec, c’est la trahison de Pierre Trudeau sur la question du rapatriement de la constitution. Celle-ci est encore dans le giron du Royaume-Uni et donc la question se pose de comment en reprendre le contrôle. Les provinces s’opposent à ce que ce retour se fasse sans y inscrire l’indépendance des provinces vis-à-vis du pouvoir fédéral sans compensation. Ce front commun tient jusqu’à la fameuse nuit des longs couteaux. Trudeau profite d’une détente avec Lévesque pour ramener les provinces à la table des négociations mais sans le Québec. Le matin, Lévesque est devant le fait accompli. Ça sera un très gros coup lui. C’était un animal politique mais il avait aussi assez de candeur pour croire que ses opposants soient aussi de bonne foi.

Fin de carrière et de vie

Le deuxième mandat sera plus douloureux. La situation économique n’est pas bonne mais surtout l’aile radicale du Parti Québécois se fait plus vocale. Il y a deux camps, ceux des « jeunes » comme Pierre-Marc Johnson et les « orthodoxes » comme Parizeau et Bouchard qui prônent l’indépendance, quitte à se passer d’un référendum.

La fin de ce second mandat ne sera pas facile, l’usure du pouvoir se fait sentir sur sa santé physique et même mentale. Il fume et boit beaucoup. Il a des épisodes où il se fait incohérent. Il quitte la politique en 1985, après un congrès du PQ où il est à demi-mot désavoué. Il meurt à peine deux ans après d’une crise cardiaque.

Une place bien méritée

Je comprends mieux la place de René Lévesque dans l’imaginaire politique de la province. Ce n’était pas un indépendantiste né même si il a vécu enfant la discrimination. Il a évolué au fil des ans et de ses expériences pour arriver à la conclusion logique, le chemin vers la souveraineté. La meilleure façon de gouverner le Québec serait de le faire en-dehors de la fédération tout en restant dans une union économique forte avec le reste du Canada, ce qui me fait beaucoup penser à l’Union Européenne.

Malgré tous ses défauts, incluant son infidélité chronique, c’est un homme d’honneur. Expression chargée mais sa lutte contre la corruption, son sens de la justice sociale en font un dirigeant intègre. Cette rectitude est aussi mêlée à un pragmatisme qui permet de réaliser de grandes choses. Ce mélange rends tout d’autant plus douloureuse la trahison de Pierre Trudeau.

Il serait toutefois dommage de résumer le personnage à son lien avec son adversaire. Par ses réalisations, Il a certainement une place importante dans l’histoire du Québec moderne. On peut même dire que le Québec d’aujourd’hui lui doit beaucoup. C’était un homme politique qui a tout donné pour son parti, son gouvernement et son pays: sa santé et il ne l’a pas fait pour l’argent. Je suis content d’avoir découvert tout un pan de l’histoire du Québec à travers cette biographie.

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