Notes de lecture du livre Rien à envier au reste du monde de Barbara Demick
J’avais déjà lu dans le passé le récit d’un transfuge de la Corée du Nord vers celle du Sud mais l’ouvrage de Barbara Demick va plus loin. Ce n’est pas devenu un classique pour rien.
Elle nous raconte la vie de 6 coréens et coréennes du Nord dans les années 90 jusqu’au début des années 2000. Elle ne se limite pas à leur destinée mais à celle de leur famille aussi.
Après la séparation des deux Corées, Kim Il-sung a mis en place un système de classes très compliqué (51 niveaux différents) pour trier la population. Il y a 3 grands groupes: l’élite, la population générale et les « intouchables ». Ces derniers et leurs descendants avaient le malheur d’être marqués à vie et donc leur perspectives étaient limitées. Ils ne pouvaient prétendre à entrer dans une université majeure, avoir de l’avancement de carrière ou entrer au service du Parti Communiste.
Je ne rentrerai pas dans les détails mais Barbara Demick le fait très bien. La description de la vie quotidienne, notamment lors des années de famine de la fin des années 90, est très émouvante. La plupart des protagonistes ont perdu des êtres chers durant ces sombres années, parfois plusieurs dans la même semaine. Il y a Mme Song qui perd successivement son mari et son fils. La malnutrition touche plus particulièrement les enfants.
La Corée du Nord partait pourtant avec une longueur d’avance sur le Sud. Après la partition les deux pays avaient un PIB semblable mais le Sud stagne, et la dictature du Nord devient le « miracle coréen » des années 60. Mais le Sud reprend le dessus et le Nord s’effondre notamment avec l’arrêt du soutien soviétique après la désintégration de l’URSS et l’ouverture de la Chine à l’occident. Les largesses dont bénéficiait le régime s’arrêtent brutalement et les lacunes de l’économie ne deviennent que plus apparentes.
L’État espionne et régente la vie de ses citoyens constamment: chaque groupe d’immeubles à un surveillant qui doit reporter toute déviation à la ligne du parti, les radios et téléviseurs sont bridés pour ne pas recevoir les signaux étrangers, il est interdit de se tenir la main, de s’embrasser en public, les vêtements et coupes de cheveux sont réglementés.
Cuba a connu une époque similaire dans les années 90, la « période spéciale » mais a pu se tourner vers le tourisme et l’exportation de son personnel de santé pour atténuer les effets de la crise. Rien de tout cela pour la Corée du Nord. Le téléphone ne marchait plus, l’électricité une ou deux fois par semaine. Les salaires n’étaient plus versés et donc les habitants devaient se débrouiller par eux-mêmes pour se nourrir. Se nourrir est peut-être un fort mot pour décrire un régime alimentaire composé d’un seul repas par jour ou moins qui consiste d’une boule de maïs.
C’est une des facettes les plus intéressantes du livre: la résilience de la population est immense. C’est notamment le cas des femmes qui prennent en main la survie de leur famille. Cueillette d’herbes comestibles pour se nourrir, coupe de bois pour se chauffer, etc. Elles montent aussi des petits commerces comme la fabrication de biscuits ou de glaces avec des ersatz pour avoir un revenu.
Les chapitres consacrés à la fuite vers la Corée du Sud sont tout autant prenants. Ce ne sont pas des allers simples (dans les deux sens du terme). Oak-hee est arrêtée deux fois en Chine pour être retournée en Corée du Nord. Mais après avoir goûté à la liberté à l’extérieur du pays, il n’y a pas de retour possible. La Chine n’est que la première étape pour après s’établir en Corée du Sud. Son gouvernement offre un programme et de l’argent pour s’intégrer à la société démocratique. L’édition que j’ai achetée contient une mise à jour datant de 2021, soit plus de 15 ans après leur arrivée. Même si cela a pris des années pour certains, la plupart ont repris des études, trouvé un travail ou monter des commerces. Mais ils ont aussi laissé derrière eux des frères, soeurs ou enfants. Certains sont morts depuis. Il y a un profond sentiment de culpabilité.
Je parlais de la résilience des protagonistes mais il y a un autre élément surprenant. Malgré toutes les souffrances, leur sentiment patriotique n’a pas complètement disparu. Ils pensent bien sûr à leur famille restée en Corée du Nord mais quand votre vie est réglée dans les moindres détails, il y a une certaine simplicité comparée à la « jungle » qu’est le monde démocratique. Il y aussi une communauté très serrée avec vos voisins qu’on a dû mal à retrouver.
L’auteure se garde bien de faire des prédictions sur le futur du régime. Elle rappelle que la famille Kim a toujours réussi à naviguer les différentes époques jusqu’à aujourd’hui avec les rencontres bi-latérales entre Trump et Kim Jong-un. De toute façon ce n’était pas l’objet du livre qui était la vie ordinaire de ses 6 familles coréennes du Nord et qui, au finale, sont toutes sauf ordinaires.
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