Organisation des marchés de l’électricité avant la libéralisation des années 90
Billet avec la liste des articles de cette série
Ceci est le premier billet qui fait suite à ma fiche de lecture du livre Handbook on Electricity Markets. Il est consacré à l’état du marché de l’électricité avant la vague de dérèglementations des années 90.
Principales fonctions dans un marché de l’électricité
Quand on pense à un marché, on visualise un endroit où l’offre de biens ou services rencontre la demande pour ces marchandises. Le marché traditionnel tel que l’on rencontre encore dans nos villes prend la forme de producteurs qui viennent vendre leurs produits directement aux habitants. La réalité est toutefois plus compliquée, il y a des intermédiaires qui transforment ces objets. Par exemple, vous allez trouver un boucher qui n’élèvent pas les animaux mais prépare la viande pour consommation. Un distributeur va, quant à lui, permettre de d’étendre à d’autres points de vente la disponibilité du produit.
L’électricité n’est pas différente. Il faut la produire et la consommer et, entre les deux moments, il se passe beaucoup de choses.
Même si l’humanité a observé des phénomènes naturels liés à l’électricité depuis des millénaires, ce n’est qu’au XIXème siècle que la théorie autour de l’électricité et le magnétisme prennent un tournant. On passe à la fin de ce siècle des découvertes scientifiques à des applications industrielles et commerciales.
Thomas Edison construit à New York en 1882 une première centrale à charbon qui produit de l’électricité avec un courant continu pour 85 bâtiments se situant dans un rayon de 800 mètres autour de la centrale. Ce type d’installation était adapté pour une consommation qui se limitait à de l’éclairage et des moteurs à courant continu. Edison favorisait le courant continu car il pouvait rentabiliser ses brevets d’autant plus que ceux-ci couvraient l’utilisation d’un compteur, nécessaire à la facturation.
Les besoins augmentant on a dû recourir à de plus grosses centrales et surtout des moyens de production qui ne sont pas toujours proches des lieux de consommation (par exemple un barrage d’eau en montagne). D’où l’émergence de réseaux de transport et de distribution utilisant le courant alternatif plus adapté (même si le courant continu est de nouveau utilisé pour de très longue distance depuis quelques années).
les différentes fonctions du marché de l’électricité : production, transport, distribution et vente au détail.
Pour résumer, nous sommes passés, comme pour beaucoup d’autres biens, d’une production locale mais limitée en quantité à une production plus importante et stable mais délocalisée et qui nécessite donc une infrastructure de distribution.
Survol des marchés avant les années 1990
Les réseaux d’électricité se sont formés au début du XXème siècle. Il existe alors beaucoup de technologies et façons de les appliquer différentes. Courant continu, courant alternatif mais aussi des tensions et fréquences différentes.
Les réseaux sont formés par des compagnies privées qui se cantonnent à une seule ville. Puis la technologie aidant et le cadre réglementaire évoluant (ces compagnies doivent passer par des terrains publiques), on met en place des moyens de transport qui permettent d’agrandir la zone géographique desservie. Cette infrastructure étant très coûteuse, la plupart passent alors par des monopoles publics ou régulés.
Après la Seconde Guerre mondiale, la technologie se stabilise mais les structures commerciales sont très différentes d’un pays à l’autre.
- En France, Italie, Grèce et Irlande, c’est une compagnie étatique qui couvre toutes les fonctions.
- En Angleterre, les petites compagnies privées ont été consolidées en une seule qui s’occupe de la production et du transport alors que 14 autres entités gèrent la distribution aux consommateurs finaux.
- En Allemagne on trouve une organisation qui reflète un peu son fédéralisme politique avec des entités régionales de production et transport qui coexistent avec des distributeurs au niveau municipal.
- Au Japon, ce sont 10 firmes privées qui se voient attribuer chacune un monopole régional.
- Aux USA, on a un mix de production privée avec des réseaux municipaux (et des coopératives) mais 75% du marché est détenu par des fournisseurs privés régulés qui sont intégrés verticalement i.e. qui comprennent les 3 grandes fonctions (production, transport et distribution) dans la même compagnie.
Le point commun de ces organisations étant un marché qui est intégré avec peu de concurrence. Le prix payé par les utilisateurs est souvent le même quelque soit la période, la façon ou le lieu de consommation.
La réorganisation des marchés
Entre les années 1950 et 1990 les marchés de l’électricité ne connaissent que peu de changements organisationnels. L’Europe commerciale se construit et son réseau électrique suit le mouvement avec la première interconnexion en 1967 entre la France, l’Allemagne et la Suisse.
Ce n’est que dans les années 1990 qu’on assiste à des changements majeurs. On l’ouvre à la concurrence. D’autres secteurs comme le transport aérien ou les télécommunications connaissent aussi le même sort. On privatise des entreprises publiques, on sépare les fonctions pour permettre l’arrivée de nouveaux joueurs.
Pourquoi privatiser? Tout d’abord la vente de monopole apporte un revenu aux États mais surtout on veut améliorer le service rendu et baisser son coût.
La production représente 60 à 65% des coûts de l’électricité. Il fait du sens d’ouvrir à la concurrence cette partie du secteur. Le transport et la distribution sont vus comme trop gourmands en investissements pour qu’une réelle concurrence puisse s’y établir et restent des monopoles publics ou régulés. Enfin certains pays vont ouvrir l’autre bout de la chaîne en permettant la concurrence dans la vente au détail par plusieurs joueurs.
La nouvelle organisation des marchés de l’électricité
Une fois que la fonction de production est ouverte à la concurrence, il faut bien coordonner ces nouveaux vendeurs d’électricité. On assiste alors à la création de marché de gros (wholesale markets) où les producteurs rendent disponible leur moyen de génération. À qui? Aux entités qui opèrent ces marchés. Ce sont des organismes publics ou régulés. Ils portent le nom de Regional ou Independent System Operator (RSO ou ISO) en Amérique du Nord et Transmission System Operator (TSO) dans le reste du monde.
Mais l’électricité a une particularité qui chamboule la vision classique d’un marché. Elle ne peut pas se stocker.
Il faut des signaux prix clairs pour que les investisseurs décident de construire de nouvelles usines de production et de les rendre disponibles. Il y a des horizons de temps différents avec des règles dédiées. On parle de contrats sur des années, d’autres des jours à l’avance et même le jour même.
Il a fallu alors mettre en place des marchés spécifiques. Ça sera l’objet de mes prochains billets mais on assiste depuis les années 90 à une évolution constante sur le design des marchés pour optimiser le prix, assurer la disponibilité des moyens de production et éviter des abus monopolistiques.
Les différents étapes de l’ouverture des marchés de l’électricité. Les deux dernières sont celles où un marché de gros existe pour la vente d’électricité par des producteurs indépendants.
Il y a trois problématiques auxquelles ces marchés essaient d’apporter une solution:
- Comment permettre la construction d’usine de production d’électricité des années à l’avance en évitant la sur ou sous-capacité
- Comment équilibrer en temps réel l’offre et la demande
- Tout en favorisant les sources d’énergie renouvelables, notamment l’éolien et le solaire
Mes prochains billets aborderont les solutions trouvées par les différents pays à ces enjeux.
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