Notes de lecture du livre Toussaint Louverture de Sudhir Hazareesingh

Couverture
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Il y a quelques années, après avoir écouté la saison 4 de l’excellent podcast Revolutions consacrée à la révolution Haïtienne et lu l’ouvrage The Black Jacobins de C.L.R. James, j’avais envie d’en connaître plus sur le leader du mouvement, Toussaint Louverture.

Cette récente biographie par Sudhir Hazareesing disponible à la bibliothèque municipale est bien tombée.

Saint-Domingue, comme est connu Haïti à cette époque, représente un tiers (ou 27 000 km2) de l’île appelée Hispaniola dont la majorité est sous contrôle espagnol. La population est d’environ 40 000 Européens, 40 000 métis et 500 000 esclaves africains. La colonie est le premier producteur mondial de sucre et de café.

Le professeur d’histoire revient sur l’enfance de Toussaint Louverture. Son père est sans doute originaire du Bénin, il est esclave dans une plantation de la famille Bréda. Grâce aux bons rapport avec le gérant (qui se poursuivra tout au long de sa vie), il bénéficie d’une certaine liberté de mouvement sans être affranchi. Il est cocher, ce qui lui permet de devenir un très bon monteur de chevaux. Il reçoit aussi une éducation des jésuites installés dans la région, apprenant ainsi à lire et écrire. Même devenu libre, il reste sur la plantation afin de subvenir aux besoins de sa famille étendue.

Lorsque la rébellion des esclaves éclate en 1791, Toussaint est déjà âgé, il a presque 50 ans. En plus de 10 ans, il va réussir à combattre les français en s’alliant avec les espagnols, puis repasser côté français pour chasser les anglais qui ont profité de la guerre interne pour envahir une partie de la colonie. Il va ensuite installer un gouvernement tout en éteignant une révolte interne avant de devoir à nouveau affronter les troupes de Bonaparte. Il est arrêté sur ordre de ce dernier et il meurt en captivité dans le Jura au printemps 1803. Ce sont donc 12 années bien remplies.

Toussaint Louverture est peut-être moins connu du grand public mais il est une figure emblématique du mouvement de libération des Afro-Américains. Il est le symbole de la “liberté universelle”. Il a un fort impact dans les autres îles des Caraïbes dont Cuba mais aussi aux USA dans le mouvement abolitionniste.

C’était un chef militaire hors pair qui n’a pas peur de combattre aux côtés de ses troupes. Son passé de cocher et ses voyages à travers l’île lui donnent une connaissance approfondie du terrain. Il a un mode de vie très frugal, voire austère. Il écrit beaucoup, dictant jusqu’à des dizaines voir des centaines de lettres par jour. Il est aussi attaché aux moindres détails dans les plans militaires mais aussi dans la conduite des affaires civiles.

Il a su naviguer les différentes nations qui ont leurs regards coloniaux braqués sur l’île. Il faut voir que la France révolutionnaire de 1789 déçoit très vite car aucune réforme d’envergure n’est enclenchée pour améliorer le sort des esclaves. Ceci explique l’alliance des rebelles avec la monarchie espagnole. Mais Toussaint reste attaché à l’idéal républicain de liberté et égalité.

Je suis Toussaint Louverture, mon nom s’est peut-être fait connaître jusqu’à vous. J’ai entrepris la vengeance de ma race, et je veux que la liberté et l’égalité règnent à Saint-Domingue. Je travaille à les faire exister pour le bonheur de tous.

Il a beaucoup de contacts dans les différents cercles de la société, les “petits” et “grands Blancs” (respectivement les employés et propriétaires terriens), les noirs libres et les anciens esclaves. Il n’a pas de haine envers les blancs qu’il essaie de faire revenir dans l’île après la fin du conflit. Ces derniers le respectent mais beaucoup de ces commerçants restent racistes. Ils font une exception pour Toussaint qui démontre un caractère exceptionnel mais au fond peu d’entre eux supportent l’égalité des droits. Son esprit de synthèse se manifeste aussi dans la sphère religieuse, fervent catholique, il manie toujours certains aspects vaudou.

Là où je trouve que l’ouvrage manque de clarté, c’est sur les facteurs qui ont amené à sa chute. Bonaparte avait sans doute décidé de s’en débarrasser d’une façon ou d’une autre mais cela n’empêche pas ses lieutenants de le trahir. Or, là-dessus, l’historien écrit peu. Je ne pense pas qu’on puisse aussi ignorer son penchant autoritaire. Cela transparaît dans la constitution qu’il établit sous couvert d’une assemblée constituante faite d’un petit groupe d’amis. Les nouveaux règlements vont jusqu’à régenter la vie privée notamment sur les divorces qui sont explicitement découragés ou le mariage des soldats qui doivent être approuvés par le gouverneur. Il s’autoproclame gouverneur à vie et c’est à lui que reviendra le choix de son successeur.Les fondations de la colonie sont encore très incertaines et il voulait lui donner toutes les chances en continuant de suivre de très près les activités comme l’économie des plantations mais on ne peut s’empêcher de penser que cette séparation des pouvoirs inexistante a contribué à sa défaite ultime.

Il n’a pas essayé de profiter de sa position pour s’enrichir mais il y a plus dangereux que l’appât de l’argent: la tendance à croire qu’on peut résoudre tous les problèmes soi-même. Je crois que le livre dresse le portrait d’un homme hors du commun. Toussaint Louverture est une source d’inspiration par biens des côtés, les bons comme la clairvoyance sur l’égalité mais aussi ceux plus dangereux comme la centralisation du pouvoir.

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